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tolérance en faveur des écoliers auxquels leur mauvaise réputation fait imposer un supplément à chaque versement trimestriel, et c’était mon cas. Les quartiers étaient sales et mal chauffés, la nourriture était misérable, les dortoirs étaient infestés de punaises ; qu’importe ? Je me trouvais mieux et plus indépendant qu’au collège, dans cette vieille maison de la rue Saint-Antoine, qui avait été autrefois l’hôtel d’Ormesson ; j’y passai deux années, les deux dernières de ma vie de collège ; j’ai pu y faire du grec et du latin ; j’ai pu y travailler l’histoire, pour laquelle j’avais du goût, mais j’y ai surtout fait des vers, des nouvelles et des romans. Louis de Cormenin m’avait prêté Albertus, de Théophile Gautier, et tout aussitôt je me mis en de voir de composer un poème fantastique. Inventer une fable dans laquelle le diable aurait le beau rôle, bâcler un millier de vers où l’on réunirait le plus d’invraisemblances possible, n’était pas pour m’effrayer ; mais trouver un titre, un vrai titre, horripilant et farouche, formé de vocables extravagans et de saveur abracadabrante, comme nous disions alors, c’était là le difficile. J’hésitai longtemps, je consultai Louis, et enfin, après bien des tâtonnemens, je m’arrêtai à Wistibrock l’Islandais. Pourquoi Wistibrock ? pourquoi l’Islandais ? je ne l’ai jamais su. J’ai conservé ce poème, à la fois familier et fatal, comme il convenait. Il m’est fort utile. Lorsque je suis morose, je le relis, et il n’y a pas de chagrin qui lui résiste. Louis de Cormenin l’admira beaucoup, et je l’admirai au moins autant que lui. Depuis, notre opinion s’est modifiée, et il nous suffisait d’en parler pour éclater de rire. Il n’a de compréhensible que l’épigraphe empruntée à Albertus même et que voici : « Husch ! husch ! hop ! hop ! trap ! trap ! »

Pendant un des congés de l’année 1839, Louis et moi nous lisions ensemble l’Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante, et l’un de nous dit : « Nous devrions faire un roman historique. » Je me chargeai de trouver le sujet et de le diviser en chapitres que nous nous distribuerions par parties égales. Mon choix fut bientôt fait ; je me fixai à une des années les plus terribles de l’histoire de France, au point culminant de la querelle d’Armagnac et de Bourgogne, à 1418. Le roman fut intitulé : Capeluche le Bourreau, ou l’Homme rouge. Avant de nous mettre à l’œuvre, il y eut un travail préparatoire. Le livre comportait deux volumes et trente chapitres. Nous étions esclaves et esclaves respectueux des usages romantiques ; or, chaque chapitre devait être précédé d’un nombre indéterminé d’épigraphes. J’en réunis une prodigieuse quantité, grecques, latines, françaises, italiennes, espagnoles, allemandes, anglaises ; il y en avait beaucoup que je ne comprenais