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une muraille de bois et une planche échancrée qui l’encastrait à hauteur de la ceinture. Cet appareil ingénieux était contenu dans une guérite dont on refermait la porte. Un enfant ayant failli s’étrangler en voulant se dégager de cette entrave, on a abandonné ce genre de torture ; j’ignore par quelle nouvelle invention on l’a remplacé.

Le collège est un monde en miniature et, malgré la claustration, on y participe aux choses extérieures. Les nouvelles s’y répandent avec autant de rapidité que dans les salons. « Les grands » se racontent les bruits de la ville qu’ils ont recueillis dans leur famille ; les propos gagnent de proche en proche, et le petit collège en a sa part. Dans nos classes élémentaires, tout en traduisant vaille que vaille l’Epitome historiœ sacrœ, ou le de Viris illustribus urbis Romœ, nous n’ignorions rien des faits importans qui se produisaient dans Paris. C’était le temps des émeutes ; on se rappelle combien elles furent fréquentes pendant les premières années du règne de Louis-Philippe. Par les externes libres, nous apprenions que l’on se battait. Un maître d’étude ne rentrait pas à l’heure réglementaire, un garçon de salle ne reparaissait pas, nous étions peu embarrassés d’expliquer leur absence : ils ont été tués sur une barricade en s’enveloppant dans les plis d’un drapeau noir. Notre imagination nous servait parfois avec sagacité, et nous nous trompions moins souvent qu’on ne pourrait le supposer. Un « aboyeur » qui appelait les élèves attendus au parloir était au cloître Saint-Merri et y mourut. La tentative d’insurrection qui prit prétexte des funérailles du général Lamarque pour essayer de substituer la république à la royauté constitutionnelle causa une émotion profonde dans les collèges de Paris, où l’on s’enorgueillit en apprenant que deux écoliers avaient été tués parmi les combattans. La légende fut promptement créée, et nous nous racontions avec admiration que tout le collège Charlemagne, professeurs en tête, avait marché contre le palais des Tuileries. Pour être plus simple, la vérité n’en était pas moins lugubre. Trois élèves, trois « grands » de la pension Saint-Amand Cimetière qui allait en répétition au collège Charlemagne, avaient fait l’école buissonnière et s’étaient mêlés, par curiosité, à la foule dont le cercueil du vainqueur d’Hudson Lowe à Capri était entouré. Ils se nommaient Stoflel, Lasseray et Parquin. L’émeute, commencée sur le quai Bourbon, fut vivement refoulée par un bataillon d’infanterie de ligne chargeant à la baïonnette. Il y eut une panique. Les curieux, les perturbateurs prirent la fuite et se réfugièrent sous la voûte du canal Saint-Martin, dans une espèce d’impasse d’où il n’était pas facile de sortir. Les soldats, sur lesquels on venait de tirer, s’y précipitèrent et frappèrent