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souhaité, le front penché, la main ballante, comme écrasé par une insupportable lassitude. J’aurais à peindre l’Ennui, je ne choisirais pas une autre figure. Du reste, il l’a dit lui-même et ne s’est pas trompé : « L’ennui a dévoré ma vie ! »

Si nos rapports avec les professeurs avaient quelque aménité, il n’en était pas de même avec les maîtres d’étude chargés de surveiller notre conduite, d’appliquer les règlemens, de faire respecter la discipline et dont le contact était permanent, au quartier, au réfectoire, en récréation, en promenade, au dortoir. Les professeurs avaient le tort, le très grand tort de les traiter avec un dédain que nous partagions sans peine et dont nous ne ménagions pas les témoignages. Il y avait cependant entre eux des différences que notre instinct d’enfant saisissait avec rapidité. Les uns étaient des jeunes gens pauvres qui, venus à Paris pour étudier le droit ou la médecine, s’étaient condamnés à une condition sans liberté ni loisirs, afin d’éviter à leur famille une dépense d’entretien considérable. Ceux-là nous les respections, nous tâchions de vivre avec eux sur une sorte de pied de camaraderie, et ils étaient, en général, d’humeur assez débonnaire. Il en est un dont je me souviens ; il avait parmi nous quelque réputation, parce qu’il portait une grande redingote blanchâtre qui nous semblait d’une élégance irréprochable, et parce qu’il savait la sténographie. Il étudiait, la médecine et est devenu le docteur Constantin James. J’en pourrais désigner un autre qui a débuté dans la vie en surveillant des marmots et en leur faisant des conférences. Il travaillait les lettres et l’histoire ; petit, très alerte, plein d’esprit, s’emportant parfois, besogneur infatigable, modérant avec peine l’éclat de deux yeux superbes, il est un exemple à citer de ce que peuvent l’intelligence, la rectitude de la conduite, la persévérance au travail et l’amour du devoir. Il est aujourd’hui le grand historien militaire de la France et une des autorités de l’Académie française. Ce sont là des exceptions, je le sais, mais moins rares cependant que l’on ne pourrait le croire, et parmi les hommes qui depuis soixante ans ont honoré les lettres, il en est plus d’un qui a été berger du mauvais troupeau des écoliers. Ils n’ont fait que traverser cet atroce métier, et ils en sont promptement sortis, parce qu’ils avaient en eux une valeur intrinsèque qui n’attendait qu’une occasion pour s’affirmer ; mais que penser de ceux qui y restent, qui s’y complaisent et finissent par y trouver la pâture nécessaire à leurs besoins intellectuels ? Ceux-là nous ne les aimions guère : nous sentions en eux quelque chose de déclassé qui nous déplaisait ; entre eux et nous, l’hostilité n’avait point de trêve, nous n’étions pas les plus forts, mais nos défaites ressemblaient parfois à des victoires. A un pion nommé Grivet un de nos camarades dit tout haut : « Vous faites bien de