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moins bestiales, mais tout aussi âpre à prélever une redevance sur les pauvres petits qui avaient froid et qui demandaient à se chauffer.

Tout cela, me dira-t-on, c’est de l’histoire ancienne ; que de progrès n’a-t-on pas faits depuis cinquante ans ! L’adoucissement des mœurs, les améliorations chaque jour introduites dans l’éducation scolaire ont certainement éclairé les maîtres de l’enseignement ; ils ont condamné, ils ont abandonné pour jamais ces séquestrations, dans un lieu puant et malsain, qui ne peuvent être que pernicieuses pour l’intelligence, pour la santé des enfans. Il faut en rabattre. Le 8 février 1873, muni d’une lettre ministérielle, j’ai été visiter le collège Louis-le-Grand, et mon premier souci a été de monter aux arrêts. Je les ai retrouvés tels que je les avais connus. Dès que j’eus pénétré dans le couloir, je fus saisi par cette odeur nauséabonde qui plane comme des miasmes dans les endroits mal aérés ; j’ouvris les portes de chêne ; j’entrai dans les cellules et je revis la muraille rugueuse contre laquelle je me couchais sur le carreau lorsque j’étais harassé de copier des vers latins ; en levant le bras, je rencontrai de la main le tuyau de poêle ; en regardant par le soupirail barré de fer, j’aperçus, comme autrefois, Montmartre dessinant sa gibbosité sur les brumes du lointain, et j’entendis les bruits de la rue qui montaient vers moi comme les plaintes de la grande ville. Le poêle, le poêle de Rouillon, était toujours dans la petite chambre, dont on ne franchissait le seuil qu’après avoir donné l’obole au vieux Caron de cet enfer ; les tables, les tabourets sont encore scellés dans le carrelage. Rien n’était changé. À cette époque, M. Jules Simon était ministre de l’instruction publique. Je le connaissais ; je savais qu’à une rare intelligence il joint une mansuétude de caractère et une bienveillance auxquelles on peut faire appel avec sécurité. Je lui écrivis ; je lui fis une description exacte des arrêts de Louis-le-Grand et je lui demandai de les supprimer. Il me répondit une lettre affectueuse :


« Paris, le 16 février 1873.

« Je vous envoie, cher monsieur, ma circulaire du 27 septembre, qui ne méritait pas l’honneur d’être injuriée avec tant d’éclat. Quant aux arrêts, je pense qu’ils ont quelque analogie avec les plombs de Venise. Gresset y a gémi ; mais ils ne sont sans doute plus qu’un épouvantail. A tout hasard, je les fais fermer. Mille affectueux souvenirs.

« JULES SIMON. »