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temps de collège ne m’a jamais visité ; au contraire, cette époque de ma vie ne m’a laissé que des souvenirs lamentables ; encore à l’heure qu’il est, je ne puis voir passer une bande de lycéens sans être pris de tristesse, et lorsque par hasard je rêve que je suis rentré dans un des collèges où s’est révoltée mon enfance, je me réveille avec un battement de cœur et mouillé par les buées du cauchemar. Est-ce donc le travail qui me répugnait à ce point ? — Non pas, j’y avais goût, et apprendre a toujours été pour moi un plaisir très vif ; je n’étais pas un cancre, comme disaient nos maîtres d’étude ; j’étais un insurgé. La discipline m’était insupportable et je ne pouvais y plier ma nature. Cette règle brutale, uniforme pour cinq cents caractères différens, la tristesse des cours entourées de hautes murailles et semblables aux préaux des prisons, la grossièreté, pour ne dire plus, des garçons qui nous servaient, la saleté des quartiers et des classes, l’aspect immonde de certains endroits où l’on ne se pouvait dispenser d’aller, l’odeur lourde des réfectoires, la sévérité étroite, sinon envieuse, des maîtres d’étude, l’ironie des enfans qui s’efforcent à se moquer de tout bon sentiment, l’absence de toute liberté, l’oppression de toute individualité qui se redresse instinctivement contre une domination systématique, ont fait pour moi du collège un enfer où j’ai toujours lutté et où j’ai toujours été vaincu. On disait : Il s’y habituera ; je ne m’y suis jamais habitué, et lorsqu’en 1840, après avoir terminé ma rhétorique sous le plus doux, sous le meilleur des hommes, j’ai enfin quitté ces bancs maudits, j’ai éprouvé une sensation de délivrance qui fut délicieuse.

On dit que le collège forme le caractère ; je ne m’en suis guère aperçu, et j’ai vu au contraire que l’on y devenait hargneux, menteur et dissimulé. Dans ce petit monde, les vices se développent par contagion ou par sympathie avec une rapidité extraordinaire. Là, plus que partout ailleurs, l’axiome de La Fontaine est vrai : « Notre ennemi, c’est notre maître. » La suppression de toute tendresse à l’âge où les enfans en ont le plus besoin produit chez eux un sentiment de résistance auquel seul ils finissent par obéir. Les punitions n’y font rien ; et quelles punitions ! les plus bêtes qu’il soit possible d’imaginer : le pain sec, qui enlève à l’enfant l’indispensable nourriture substantielle ; la retenue de récréation, qui ne permet pas de faire un exercice nécessaire après les longues heures de silence et d’étude ; la privation de sortie, qui supprime le contact de la famille. Dans ma carrière de collégien, je n’ai vu qu’un seul homme manquer intelligemment à ces coutumes barbares ; c’était un professeur de quatrième nommé Huguet, qui nous donnait à copier les décades du Jardin des racines grecques, sous forme de devoir supplémentaire, cela du moins nous apprenait