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que les trépidations eussent repris. L’équipage de l’aviso français le Bouvet, arrivé la nuit même dans la rade, était descendu à terre. Officiers, matelots, chirurgiens rivalisèrent de courage et de zèle avec les Chiotes de bonne volonté pour délivrer et secourir les blessés. Mais ce ne fut que le mardi 5, surlendemain de la catastrophe, qu’on put organiser méthodiquement le sauvetage. De Smyrne, de Mitylène, de Syra, des îles grecques, où l’on avait été prévenu par le télégraphe, arrivèrent des bâtimens pour évacuer les blessés, des navires chargés de vivres, de charpie, de médicamens, de toiles et de planches pour élever tentes et baraquemens. Le Voltigeur, de la marine de guerre française, la frégate américaine Galena, la canonnière anglaise Bittern, l’aviso autrichien Taurus, mouillèrent devant Chio et envoyèrent à terre des compagnies de débarquement, qui se joignirent aux marins du Bouvet. De Smyrne étaient venus aussi des chirurgiens civils, des sœurs de charité, des zaptiés. On devait tous ces secours à l’initiative du consul-général de France à Smyrne et à Midhat-Pacha, gouverneur de cette ville. Sadyk-Pacha, gouverneur-général de l’Archipel, qui se trouvait à Chio le jour de la catastrophe, mérite moins d’éloges. Alors que le plus strict devoir lui commandait de rester dans l’île, il se réfugia à bord du Sureya. Ce pacha, dont la conduite ne rappelle que très faiblement celle de Belsunce, ne reviat à terre, dit-on, que deux jours après l’événement, quand tout danger avait à peu près disparu. Encore fut-ce pour faire maladroitement sentir son autorité à ceux qui se dévoûment au sauvetage. Les marins des différens bâtimens de guerre avaient élevé des baraques et pour les reconnaître entre elles, ils y avaient fixé leurs pavillons nationaux. Sadyk-Pacha prit ombrage de ces couleurs flottantes et invita les commandans à les faire retirer. Un détachement de sapeurs du génie avait été envoyé d’Athènes. Le gouverneur ne voulut pas les laisser débarquer. Après de longs pourparlers, il les y autorisa, mais avec l’obligation de quitter l’uniforme grec et d’endosser le vêtement civil.

Le sauvetage des victimes s’opéra au prix de quelles peines, de quelles fatigues, de quels dangers ! A mesure qu’on avançait dans cette œuvre, on était pénétré de la grandeur de la catastrophe. Le désastre, que l’imagination en proie à la terreur ou à l’espérance grossissait et atténuait tour à tour, apparaissait dans son horrible vérité : la plupart des maisons détruites, et sous leurs ruines, des cadavres. En déblayant les décombres d’une petite chapelle, on a retrouvé les corps de quarante femmes turques, qui étaient en prières au moment du tremblement de terre. Cent familles ont été ensevelies par l’effondrement d’un pâté de maisons du quartier de là citadelle. Des survivans, échappés par miracle, les uns étaient