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pour ainsi dire son horizon. Tout en rendant hommage à ce qu’il y a de chaste, de désintéressé et d’élevé dans l’idéal de la vie religieuse, on ne saurait disconvenir qu’un détachement aussi complet des intérêts de nos semblables ne va peut-être pas sans quelque égoïsme.

Non moins pure, non moins foncièrement pieuse que cette émule de sainte Claire, combien Jeanne est plus vivante, plus humaine et, disons-le franchement, plus grande ! Elle aussi, elle est une bonne chrétienne ; elle aussi, elle se pique d’observer docilement les prescriptions de l’autorité spirituelle ; mais elle sait à l’occasion s’en écarter pour rester fidèle à une loi plus haute et elle aime tellement son pays que cet amour se confond pour elle avec l’amour même de Dieu. Si cette confusion hétérodoxe doit être comptée parmi les causes qui ont poussé l’église à refuser jusqu’à présent à la Pucelle les hommages publics qu’elle permet de rendre depuis longtemps à la réformatrice des clarisses, elle constitue en revanche le plus beau titre de la martyre de Rouen à notre reconnaissance et à notre admiration. Du reste, il faut bien reconnaître que la gloire de l’héroïne éclipse de jour en jour davantage le prestige de la sainte. Que sont les monumens de pierre, de marbre ou de bois placés sous l’invocation de Colette en comparaison de ce vivant autel que chacun de nous élève à Jeanne sur les hauteurs de l’idéal, et que pourrait envier même à l’une des plus illustres thaumaturges du moyen âge celle que la piété nationale révère à juste titre comme la sainte de la France !

Ces réserves faites, Colette de Corbie a apporté à l’œuvre de restauration patriotique qui s’est personnifiée dans Jeanne d’Arc un concours indirect que nous nous estimons heureux d’avoir mis pour la première fois en lumière. Et nous n’entendons pas parler ici de ce rôle de médiatrice, dans l’ordre des sentimens intimes, que la mère spirituelle de tant d’illustres princesses a été amenée par les circonstances à jouer entre les maisons de Bourgogne et de France. Nous ne faisons pas seulement allusion à cette dévotion au nom de Jésus que la réformatrice des clarisses s’était en quelque sorte appropriée et dont la libératrice d’Orléans a été l’une des adeptes les plus ferventes. Nous avons surtout en vue le culte tout particulier que Colette rendait à la fête de l’Annonciation de la Vierge, fête qui prit, comme on va le voir, en 1429, l’importance d’un événement national.


IV

Le pèlerinage à la cathédrale du Puy, dédiée à l’Annonciation de la Vierge, ne jouit jamais d’une plus grande vogue que pendant