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LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE


La situation générale du marché de Paris ne s’est pas modifiée pendant la dernière quinzaine. La spéculation à la hausse a subi de nouveau l’épreuve d’une liquidation très dure et elle est restée vaillamment sur la brèche. Les fluctuations de cours assez limitées qui se sont produites sur quelques-unes des grandes valeurs ont été motivées par des raisons spéciales. Les acheteurs à terme se sont préoccupés avant tout de maintenir leurs positions, et c’est beaucoup déjà qu’ils y aient réussi.

Le prix des reports a en effet atteint, au début du mois, un taux qui détruit désormais tout équilibre entre le revenu des titres reportés et le coût de la prorogation des engagemens. Sur le 5 pour 100 par exemple, les acheteurs ont dû se résigner à payer 70 centimes alors que le revenu ne représente que 41 centimes par mois. Sur le 3 pour 100 le report a dépassé 40 centimes pour un revenu de 25. Sur les actions de chemins de fer français les reports ont été traités sur le pied de 120 à 150 francs par an. Ainsi du reste.

Les cours atteints sur les rentes, sur les actions de chemins de fer, sur la plupart des titres des institutions de crédit et des valeurs industrielles ne sont pourtant pas exagérés, si l’on tient compte de la rapidité avec laquelle se développe la fortune publique, de rabaissement progressif et rationnel du taux de l’intérêt, de l’activité sans cesse croissante qui se manifeste dans le mouvement des échanges et des transports.

Seulement ces cours auraient dû être atteints plus lentement ; l’épargne aurait dû être le principal, sinon l’unique facteur de la hausse, tandis que c’est le crédit qui a tout fait et qui attend en ce moment que l’épargne vienne prendre sa place et commence à jouer le rôle qui lui est destiné.

Le danger de la situation, danger que chacun voit et dont on commence à se préoccuper sérieusement, c’est qu’en dépit de notre richesse énorme, de notre incomparable capacité d’épargne, d’une abondance incontestable de ressources, attestée par le maintien du taux de l’escompte officiel à 3 pour 100 à Paris et à 2 1/2 pour 100 à Londres, toutes les forces financières de la France ne suffisent pas à l’absorption des quantités de valeurs mobilières qui ont été créées depuis quelques années, et dont la production ne paraît malheureusement pas de voir se ralentir.

Non-seulement la grande majorité des titres de création récente est encore emmagasinée dans les portefeuilles des établissemens de crédit qui les ont fabriqués, mais la hausse considérable à l’aide de laquelle on espérait écouler ce stock de marchandises a eu pour résultat de provoquer, dans une très large proportion, le déclassement des anciennes