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plus, en politique, il paraît qu’ils ne voulaient pas entendre ce qu’ils appelaient le système des « contre-forces » et qu’ils n’affectaient pour la constitution d’Angleterre qu’une admiration modérée. Quelques-uns même « poussaient l’absurdité jusqu’au point d’avancer que toute constitution de gouvernement, hors la monarchique, est essentiellement vicieuse. » Les bras en tombaient à Grimm de douleur et d’étonnement. Enfin, tout entichés qu’ils fussent de leur « despotisme légal, » ils n’en réclamaient pas moins, avec une apparente contradiction de termes, la liberté sous toutes ses formes et saisissaient toutes les occasions d’affirmer la célèbre doctrine du Laissez faire, laissez passer. Comment ils ajustaient toutes ces théories ensemble, je n’en sais rien, et ce n’est pas notre affaire que de le rechercher. Mais peut-être que la tâche ne serait pas beaucoup plus longue ni plus ardue que de vouloir concilier les contradictions de Grimm ou de Diderot.

Les Dialogues de Galiani parurent, sur ces entrefaites, comme l’instrument d’une victoire décisive de l’encyclopédisme sur l’économie politique. C’étaient, en effet, les propres armes de la secte retournées contre elle-même ; c’était la bataille hardiment portée, par un habile manœuvrier, sur le terrain même qu’il avait plu aux économistes de choisir et de circonscrire. Les économistes avaient obtenu du gouvernement, en 1764, un édit permettant la libre exportation des grains. Je dois noter qu’à ce propos Galiani s’était empressé d’écrire à Tanucci : « La libre exportation des grains de France ne manquera pas de causer à notre commerce un grand dommage, si nous ne nous empressons d’imiter l’exemple qu’on nous donne. Les Français ont enfin compris cette grande vérité que l’unique préservatif des disettes, c’est l’entière liberté du commerce des grains. » Est-ce à dire pourtant que les Dialogues sur le commerce des blés fussent un plaidoyer, comme Galiani n’a pas cessé de le prétendre, en faveur de la liberté d’exportation ? Il faut alors qu’il ait joué de malheur. Car, ni du côté des économistes, ni du côté des encyclopédistes, les Dialogues ne furent pris pour ce qu’il voulait. Le seul Grimm, dont il est permis de récuser la compétence, aurait entendu notre abbé ; — mais Diderot, qui corrigea le manuscrit et qui revit les épreuves, écrit à Mlle Volland : « Enfin l’abbé Galiani s’est expliqué net. Ou il n’y a rien de démontré en politique, ou il l’est que l’exportation est une folie. Je vous jure, mon amie, que personne jusqu’à présent n’a dit le premier mot de cette question ; » — mais Turgot, partisan convaincu de la libre exportation, et que nous croyons très capable d’avoir bien entendu le machiavélique abbé, ne. comprit pas, ou, si l’on veut, ne prit pas les Dialogues autrement que Diderot ; — mais les économistes,