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« Il faut supposer, disait-il, un de ces cardinaux à son bureau, écrivant, et l’espion debout devant lui :


LE CARDINAL. — Eh bien ! qu’est-ce qu’on dit ?

L’ESPION, hésitant. — Seigneur, on dit… on dit…

LE CARDINAL. — Vous plairaît-il d’achever ?

L’ESPION. — On dit que vous avez pour page une fille charmante, qui est malade pour neuf mois… et par votre faute.

LE CARDINAL, continuant d’écrire, sans se déranger. — Cela n’est pas vrai, c’est de la sienne.

L’ESPION. — On ajoute que le cardinal un tel a voulu vous enlever ce page charmant… et que vous l’avez fait assassiner.

LE CARDINAL, continuant d’écrire. — Ce n’est pas du tout pour cela.

L’ESPION. — On parle de votre dernier ouvrage et l’on dit que c’est un autre qui l’a fait.

LE CARDINAL, se levant avec fureur. — Eh ! pourriez-vous, monsieur le maroufle, me nommer l’impudent qui a dit cela ?


Au fond, c’est l’histoire de Gil Blas et de l’archevêque de Grenade. Elle a l’air d’être ici plus courte et plus serrée ; mais, au vrai, comme elle est plus longue et plus diffuse ! Et tandis que, dans le récit du conteur français tout marche d’un tel air de facilité, de naturel, d’aisance ; que d’affaires ici pour mettre l’anecdote en scène, que d’exagérations dans chaque trait du dialogue, et que de préparations pour amener le mot de la fin ! Une exclamation de Mme du Deffand me revient tout à point en mémoire : « Ah ! mon Dieu, quel auteur ! qu’il a de peine ! et qu’il se donne de tourmens pour avoir de l’esprit ! » En effet, il faut qu’il se trémousse, et qu’il mime son conte, et qu’il lance au plafond sa perruque. Si bien, que Diderot, Diderot lui-même, qui ne se pique pourtant pas de bon goût, encore moins de délicatesse, est obligé d’en convenir, et qu’après avoir comme refroidi je ne sais plus quel conte en le fixant sur le papier, il ajoute : « Tout cela n’est pas trop bon, mais l’à-propos, la gaîté y donnent un sel volatil qui ne se retrouve plus quand le moment est passé. »

Mais, voyons, allons au fond des choses. Entre tous les bons contes que Diderot transcrit au long pour l’usage de sa Sophie, Sainte-Beuve nous a signalé le conte du Porco sacro. Lisons le conte du Porco sacro :


Il y a à Naples des moines à qui il est permis de nourrir aux dépens du public un troupeau de cochons, sans compter la communauté. Ces cochons privilégiés sont appelés par les saints personnages auxquels ils appartiennent des cochons sacrés… Celui qui frapperait un porco sacro