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A Saint-Benezet, le terrain donne plus volontiers la qualité que la quantité, et dans l’organisation plutôt industrielle de la propriété, la vigne apparaît sons trois formes distinctes : 1° raisin de balance en plaine ; 2° vin ordinaire à vendre directement à la consommation, produit sur les coteaux par plants directs ou greffés ; 3° multiplication de plants. A cet effet, 120 mètres carrés de serre chaude, 400 mètres de serre tempérée, 150 mètres de couches, 12 hectares de pépinières arrosées, et enfin un personnel spécial sont consacrés à cette multiplication de plants rares ou à reprise difficile.

J’ai parlé, dans un travail précédent, de la production indus- trielle de plants enracinés comme d’une nécessité primordiale de la culture américaine en France » En effet, il y a une ou deux années à gagner à la plantation de plants directs enracinés tels que les pépiniéristes américains les vendent, et à celle de plants greffés et soudés tels qu’on commence à les faire en France. Admettant que cette fabrication de plants greffés soit un dérivé de l’industrie américaine, elle n’en est pas moins toute française dans son utilité et dans ses procédés.

Le cultivateur, en général plus laboureur que jardinier, qui se décide à planter un clos de jacquez, perdra temps et courage s’il plante des boutures pour n’en voir réussir que 50 pour 100. S’il veut planter des enracinés, il perdra une ou deux années, peut-être trois (c’est ce que cela m’a coûté) à se débattre au milieu des difficultés de cette multiplication, et quand il aura enfin appris, il aura tant perdu de temps et d’argent qu’il les vendra au lieu de les planter ; en tout cas, sa plantation, s’il l’exécute, lui coûtera plus cher que s’il achetait immédiatement à un prix raisonnable le nombre de plants égaux, choisis, qu’il lui faut. Si ses vues se tournent vers les porte-greffe greffés, il lui faudra une année pour enraciner les boutures, une autre pour greffer ces enracinés ; ajoutons donc deux années perdues aux maladresses de coupes, de ligatures, de transplantations, inhérentes à l’inexpérience, et nous aurons un total de temps et d’argent perdus dont le quart aurait suffi à acheter des plants irréprochables et produisant à leur seconde année.

Chez les grands viticulteurs, les ouvriers greffent pendant des mois ; ils acquièrent une sûreté de main, une finesse de toucher qui, jointe à la surveillance et à l’organisation matérielle pour la conservation des plants greffés, assurent un succès que n’atteindra jamais la moyenne propriété employant des ouvriers inexpérimentés, tandis que l’homme seul qui travaille uniquement pour lui-même compensera par le soin, par le désir de réussir, ce qui lui manquera comme habileté. C’est pourquoi j’engage ceux qui ne sont assimilables ni aux grands propriétaires, ni au paysan