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d’abondance au point de menacer l’avenir, mais disparaît devant une récolte rapide et une fabrication prématurée qui rend l’hivernage impossible à la plupart de ces malfaisantes ailées. Le phylloxéra est plus rare sur le riparia sauvage, qui lui déplaît, que sur le labrusca, dont les larges rayons médullaires rappellent la constitution de la vigne européenne.

J’ouvre ici une parenthèse. Un ancien viticulteur américain écrivait, longtemps avant la découverte du phylloxéra, que la taille courte élargissait à la longue les rayons médullaires, que cette extension de tissus mous pourrait devenir une cause d’accessibilité aux maladies, aux insectes. Je me demande si le labrusca, devenant accessible au phylloxéra à mesure qu’il se civilise, ne serait pas un indice de cette tendance et si la taille longue n’est pas une des circonstances étayant la résistance relative, pas absolue, de certaines vignes américaines. Nous y reviendrons tout à l’heure.

Quoi d’étonnant à ce que, trouvant en France une nourriture plus à son goût que sur les espèces résistantes d’Amérique, l’insecte pullule dans ce milieu favorable ? Sa récente augmentation numérique en Amérique a une relation indirecte avec la vigne française, car ce sont les hybridations françaises qui, jointes à l’augmentation des surfaces plantées en labrusca, ont rendu le milieu américain plus favorable à l’ennemi que par le passé. Loin de conclure de là à l’éloignement de la vigne nouvelle, j’en conclus, au contraire, à l’éloignement de la vigne française, qui constitue un danger pour la vigne américaine. Adoptant cette dernière, nous devons le faire dans les meilleures conditions de réussite possibles, c’est-à-dire en éloignant le vitis unifera comme favorisant l’existence de l’ennemi. Si nous faisons une exception, c’est pour la transformation et l’utilisation de la racine européenne par la greffe américaine, et cette exception, faite grâce à l’avantage économique, n’atténue pas l’inconvénient viticole d’entretenir un foyer phylloxéré. Je le répète, la résistance est relative, elle n’est pas absolue ; elle se compose de plusieurs élémens et l’absence de l’un d’eux suffit pour la faire céder devant une attaque trop forte, si le milieu où elle la subit lui est défavorable. C’est ce que nous avons vu plus haut à propos de la largeur des rayons médullaires des labrusca et des vignes françaises.

Depuis quand le phylloxéra est-il en France ? Les uns accusent l’importation de M. Lalliman, en 1866, à Bordeaux ; les autres celle de M. Borty, en 1862, à Roquemaure. M. Lalliman se défend d’avoir joué un rôle aussi dévastateur que celui d’Attila, roi des Huns. Je comprends la modestie de l’homme qui désire se soustraire aux malédictions de tous les ruinés d’aujourd’hui ; mais admettons un moment qu’il suit un chef parmi ces fâcheux importateurs ; on peut dire qu’il