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d’insecticide, très praticable quand il s’agit de petits vignobles précieux, est incompatible avec la grande culture ; l’emploi d’un toxique ne peut être confié au premier venu sans danger pour l’homme et sans danger pour la vigne. Il faudrait à plusieurs reprises dans l’année déranger les meilleurs ouvriers d’un travail souvent aussi important que le traitement, et ce qu’on gagnerait d’un côté, on le perdrait de l’autre, tandis que la transformation par la greffe donne un résultat durable en coûtant moins d’argent et de dérangement qu’un seul traitement annuel.

J’avais su que M. Fichet, chimiste à Vincennes, détruisait les insectes dans les jardins maraîchers de Saint-Mandé ; j’en parlai à M. Rivière, jardinier en chef du Luxembourg, savant aimable et modeste, resté fièrement jardinier, qui me donnait alors des avis précieux sur la multiplication. Il me raconta que, pour se débarrasser des chimistes et de leurs offres de service, il leur demandait systématiquement la destruction du kermès du laurier. M. Fichet ayant réussi à détruire cet insecte, je supposais qu’il aurait raison du phylloxéra. M. Dumas eut l’obligeance, en 1875, de déléguer M. Romier, pour diriger les essais de sulfo-carbonates à Saint-Benezet : les résultats furent nuls, et la dépense d’eau et d’argent fut supérieure à celle du traitement Fichet.

Je n’ai pas employé le sulfure de carbone de la compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée, je suis trop persuadée que la viticulture ne ressuscitera que par la vigne américaine. Une récente et minutieuse enquête prouve que ce traitement n’est abordable que pour les vignes à grand rendement, que son application demande beaucoup de soins, car non-seulement cet insecticide est assez dangereux pour tuer les vignes, mais il a tué des mûriers. Deux expériences faites en 1879 par des employés de la compagnie chez deux propriétaires différens, ont produit ce résultat ; les vignes traitées sont mortes bien avant celles qui ne l’avaient pas été. Je choisis cet exemple entre beaucoup d’autres plus favorables à l’insecticide de la compagnie, pour dégager la mort des ceps de toute idée de mauvaise volonté de la part des ouvriers ruraux et pour prouver que certains succès appareils sont dus à ce que les propriétaires emploient plus hardiment le fumier que le sulfure de carbone, tandis que les agens de la compagnie emploient le sulfure de carbone plus vigoureusement que le propriétaire lui-même. Le sulfure de carbone semble stériliser la terre et. nuire à la vigne, le fumier répare ces effets fâcheux. Reste à savoir si, dans ce combat entre le sulfure malfaisant et le fumier réparateur, le phylloxéra n’est pas oublié. Ce qui est certain, c’est que le sulfure de carbone peut tuer la vigne que nous voulons guérir et que, si l’on admet l’arsenic prudemment dosé par un médecin, on n’admettra jamais ce toxique