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La discrétion, la prudence de paroles, sont imposées aux vignerons de la veille par les hardiesses d’appréciation de ceux du lendemain. Ils sont si osés et oublient si volontiers les lois immuables qui règlent la végétation et la vie ! .. Leur excuse est dans la brusquerie avec laquelle le cataclysme viticole les a mis aux prises avec l’inconnu d’hier. Tantôt ils découvrent ce que nous avons abandonné à bon escient ; tantôt ils annoncent des faits incroyables et désastreux qui semblent empruntés à la mythologie tant ils révoltent les lois physiologiques. Ces naïvetés seraient excusables si elles ne jetaient le désarroi parmi les conscrits viticoles, timides et prudens quand on leur parle de rebâtir la forteresse, confians, outrecuidans, sur le rempart démantelé qui défend pour une heure encore la vigne condamnée. Je ne prétends certes pas abattre pour reconstruire, ni arracher pour replanter, mais avec ce que nous savons maintenant, nous pouvons sans danger planter à côté de ce qui existe encore. Je vois depuis dix ans que, dans la lutte contre l’imperceptible et insidieux insecte, la défaite termine la défense, tandis que la victoire couronne la revanche.

L’expérience acquise dans le Gard enseigne que, dans un pays nouvellement attaqué, le malheur peut être réparé en deux ans, mais pas une province, pas un canton, ne semble vouloir profiter de l’exemple des premières victimes, comme si chaque point attaqué devait être le dernier, et chaque canton, chaque propriétaire croyant sa vigne abritée par un rempart qui n’est solide que dans son imagination. A mesure que le flot avance, on recule cette limite, et c’est ainsi que les vignobles disparaissent sans autre acte défensif qu’un décret déclarant envahi un département de plus. La convocation d’une commission suit de près, mais elle est généralement composée de gens aussi neufs sur la question qu’ignorans de ce qui s’est fait ailleurs : l’expérience d’autrui est pour eux lettre morte, — tandis qu’il y aurait du temps à gagner en faisant tout de suite ce qui a réussi ailleurs.

Les moyens de défense connus aujourd’hui sont palliatifs ou définitifs, — palliatifs pour prolonger l’existence de ce qui végète encore, définitifs pour constituer des vignobles résistans aux atteintes du phylloxéra ; Le premier, le plus durable des palliatifs, c’est la submersion ; le second, encore à l’état expérimental, est l’emploi des insecticides partout où le revenu de la vigne peut suffire à ce surcroît de dépense. Les moyens définitifs sont ; 1° la greffe, pour transformer des vignes françaises en vignes américaines résistantes ; 2° la plantation de vignes françaises greffées sur racines américaines résistantes ; 3° la plantation de vignes françaises dans le sable. Au point de vue économique, le meilleur de ces moyens