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et l’on pourrait aisément en critiquer plusieurs ; mais il y en avait aussi dans le nombre d’excellentes. Le projet de Lakanal est le premier où l’on trouve l’inspection des écoles sérieusement organisée. L’institution d’une commission centrale dénotait un véritable sens administratif et une réelle intelligence des besoins de l’enseignement. Le programme était aussi mieux entendu, de proportions plus raisonnables, moins surchargé que celui de Condorcet de matières inaccessibles à de jeunes esprits. La politique y jouait un moins grand rôle. La convention, pourtant, fit un fort mauvais accueil au travail de son comité. Aux jacobins, un des orateurs les plus écoutés de la Montagne, le savant Hassenfratz, l’avait déjà dénoncé comme entaché d’aristocratie. L’apparition du fameux écrit posthume de Lepelletier de Saint-Fargeau l’acheva. Sur la proposition d’un membre que le procès-verbal ne nomme pas, on décida de nommer une commission de six membres chargée de présenter sous huit jours un projet de décret sur l’instruction publique. C’était rejeter implicitement le projet de Lakanal et dessaisir le comité. La nomination de Robespierre en qualité de commissaire vint encore aggraver cette mesure.

L’essai de Lepelletier de Saint-Fargeau. — L’essai de Lepelletier n’a par lui-même aucune valeur pédagogique, c’est un mauvais pastiche, un mélange de rudesse Spartiate et d’idéologie platonicienne, avec quelques traits empruntés à Rousseau. On est tout étonné, quand on parcourt aujourd’hui cette pauvre élucubration, qu’une assemblée d’hommes sérieux ait pu, non-seulement en tolérer la lecture, mais encore lui prodiguer de si vifs témoignages d’admiration. Il y a pourtant une raison de ce phénomène ; il y en a même deux. La première, c’est l’état mental où se trouvait précisément la convention lorsqu’elle fut saisie de ce travail. De violences en violences et d’accès en accès, elle en était venue à ce période où l’esprit a déjà perdu tout sens critique. La seconde est l’intérêt qui s’attache naturellement à la dernière pensée de tout homme qui meurt dans des circonstances tragiques. Si Michel Lepelletier, au lieu de tomber comme Marat sous les coups d’un royaliste, était mort tranquillement dans son vaste et somptueux hôtel de la rue Culture-Sainte-Catherine, il est fort probable que son essai n’aurait pas excité chez les contemporains tant et de si chaudes sympathies. Le nom du ci-devant marquis de Saint-Fargeau eût simplement figuré parmi ceux des régicides à sa place alphabétique ; c’est tout ce que l’histoire aurait pu faire pour ce jacobin millionnaire et titré.

Prenez en effet ce travail et pressez-le tant que vous voudrez : vous n’en ferez pas sortir une idée juste et raisonnable. Tout y est faux et contre nature. Lepelletier ne se contente pas de réclamer