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à changer le nom de ses collèges et le caractère de son enseignement, opprimée dans sa croyance, abandonnée de ses meilleurs maîtres et du plus grand nombre de ses élèves, elle ne montre plus aux yeux que la triste image d’un corps qui s’en va.

En apparence, le train des choses est toujours le même : la machine n’a pas cessé de marcher, les exercices scolaires se succèdent avec la régularité et dans leur ordre habituels. Singulier spectacle et plus singulier contraste encore ! dans ce Paris agité par tant de secousses violentes, parmi tant de ruines et de catastrophes, en pleine terreur, quand tout croule et s’effondre, quand de l’ancien régime il ne reste plus rien, pas même le roi, une seule chose est demeurée fixe, immuable dans ses habitudes et dans ses traditions : la Sorbonne. Au mois de juillet 1793, quelques jours après la mort de Marat, les compositions du concours général entre les collèges de Paris eurent lieu comme à l’accoutumée. Un peu plus tard, le 4 août, la distribution des prix se fit également avec le cérémonial et la pompe d’usage. L’emplacement seul avait été changé ; par une innovation toute révolutionnaire, ce ne fut pas cette fois sous les murs aristocratiques de la vieille maison de Richelieu que les lauréats vinrent recevoir leurs couronnes ; elles leur furent données en un lieu plus approprié aux circonstances, dans la salle même des Jacobins ; Des députations de la convention, du tribunal criminel, du tribunal de cassation et de tous les corps administratifs et judiciaires siégeaient dans l’assemblée. Plusieurs discours furent prononcés, entr’autres un du citoyen Dufourny, membre du directoire, qui commençait par ces mots empruntés à la Marseillaise : « Enfans de la patrie, le jour de gloire est arrivé ! » et qui continuait par ceux-ci : « Que vos âmes, enfans de l’égalité, ne s’effraient pas de ce que vos fronts seront un moment ceints de ces couronnes, car ces couronnes ne sont pas celles de l’orgueil, ni celles de la tyrannie ; ce sont les couronnes de l’émulation, des talens qui ont fondé, illustré et défendu les républiques. »

Après cette harangue enflammée, le doyen des délégués de la convention s’assit au fauteuil et prit à son tour la parole ; puis le citoyen Crouzet, principal du collège du Panthéon, lut un poème sur la liberté, où personne ne vit une satire et qui fut couvert d’applaudissemens. Mais cette pompeuse journée était la dernière que le sort réservât à l’Université, et l’hymne de Crouzet, le suprême accent qu’elle dût faire entendre, son chant du cygne. À quatre jours de là, le 8 août 1793, un premier décret supprimait brutalement « toutes les académies et sociétés littéraires patentées ou dotées par la nation. »