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ouvrières de Mulhouse en construisant pour les ouvriers des maisons confortables et économiquement conçues qu’elle leur loue moyennant un prix assez modique, comprenant cependant en sus du loyer véritable une somme représentant l’amortissement du capital de premier établissement ; combinaison très ingénieuse qui rend l’ouvrier propriétaire de la maison qu’il occupe au, bout d’un certain nombre d’années. Cette œuvre philanthropique, qui a eu beaucoup de retentissement, a eu aussi beaucoup d’imitateurs. Quelques grandes sociétés, comme Anzin et le Creusot, quelques manufacturiers, parmi lesquels on peut citer MM. Godin et Menier (quelques réserves qu’il y ait lieu de faire au sujet de certains détails dans l’organisation du familistère de Guise ou de la cité ouvrière de Noisiel), ont construit pour leurs ouvriers des habitations dont ils leur offrent la jouissance à des conditions très avantageuses, On est au premier abord tenté de s’étonner qu’a Paris, où l’assistance charitable est fort active et fort ingénieuse, on n’ait pas marché plus rapidement dans cette voie. Disons cependant qu’il a peut-être été fait davantage qu’on ne croit et qu’on ne sait. Pendant la durée de l’empire, un assez grand nombre de maisons offrant aux ouvriers des logemens suffisamment confortables au prix de 200 à 300 francs ont été construits sur le boulevard Mazas et ailleurs, soit totalement aux frais du gouvernement, soit en partie avec des subventions octroyées par lui. M, le comte de Madré, la Société coopérative immobilière de Paris, ont construit également des maisons et des logemens où des ouvriers peuvent se loger pour ce même prix. Une société nouvelle, qui est actuellement en voie de formation dans le XVIe arrondissement, espère pouvoir mettre à la disposition des ouvriers, à Passy et à Auteuil, une petite maison isolée avec un jardin au prix de 300 francs. Mais Paris est sous ce rapport bien en retard de Londres, où l’on compte déjà vingt-sept sociétés ayant le même but[1]. Ce qui explique le peu de développement et même, pour quelques-unes, l’échec de ces sociétés à Paris, ce sont deux raisons d’ordre tout à fait différent, l’une matérielle et l’autre morale. La raison matérielle, c’est qu’à Paris la cherté croissante des terrains et de la construction rend presque impossible la création d’habitations isolées et de types divers comme à Mulhouse ou au Creusot. Il est presque toujours nécessaire de construire en hauteur et d’élever des grandes maisons à cinq ou six étages. Or (et c’est la raison morale), ces maisons répugnent à l’ouvrier ; il a horreur de la caserne, de l’appartement identiquement

  1. Voir, sur la question des habitations ouvrières, an ouvrage de MM. Muller et Cacheux, qui a obtenu une médaille d’or à l’exposition de 1878.