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Toul, n’en était pas moins situé presque sur les confins de l’évêché de Châlons ; et en supposant que le franciscain Henri de Vaucouleurs, évêque de Christopolis, suffragant de l’évêque de Toul, n’ait point tenu à faire entendre aux fidèles de ce dernier diocèse un prédicateur de son ordre aussi éloquent que frère Richard, les deux vallées contiguës de la Marne et de la Meuse entretenaient l’une avec l’autre un commerce trop intime pour qu’une parole dont les éclats agitaient la première n’eût pas aussitôt un écho dans la seconde.

Couverte alors plus encore qu’aujourd’hui d’épaisses forêts de chênes, la région de la Meuse supérieure engraissait une énorme quantité de porcs, nourris à la glandée, qu’on exportait jusqu’à Paris. Le résultat de ce commerce était un va-et-vient continuel entre les pays de « paisson, » tels que Greux, Domremy, Darney-aux-Chênes, — pour ne citer que ces trois villages entre beaucoup d’autres, — et les marchés de Châlons ou de Troyes. Une autre source, et non la moins active, de communications incessantes entre les deux vallées, c’était l’importante corporation de chaudronniers que posséda pendant tout le moyen âge le village d’Urville-en-Bassigny, situé à quelques lieues seulement de Domremy. Ces chaudronniers semblent avoir joui, au XVe siècle du moins, d’une vogue plus grande encore que les fameux poêliers de Villedieu, en Basse-Normandie. Les rétameurs, les fondeurs d’Urville n’exerçaient pas seulement leur industrie en Champagne, en Barrois et en Lorraine ; ils rayonnaient au loin et, vers l’époque de la mission de la Pucelle, on en compte jusqu’à cinq dans la seule ville de Rouen, où ils semblent avoir formé une petite colonie. Ces chaudronniers étaient toujours sur les routes. Deux d’entre eux, Nicolas Saussart et Jean Chando, se trouvaient dans leur pays, au moment où Jeanne le quitta, vers la fin de février 1429 ; ils allaient eux-mêmes partir pour Rouen. Dès qu’ils furent arrivés dans cette ville, ils racontèrent ce qu’ils avaient vu à un troisième chaudronnier, leur compatriote, arrivé avant eux dans la capitale de la Normandie. Ce dernier, nommé Jean Moreau, habitait encore Rouen en 1456 et fut entendu comme témoin dans le procès de réhabilitation. Un quatrième chaudronnier, Husson Lemaistre, originaire d’Urville et établi à Rouen comme les trois premiers, assistait à Reims le 17 juillet 1429 au sacre de Charles VII ; il y rencontra le père et l’un des frères de la Pucelle, qui n’appelaient sa femme que « ma payse. » Sans parler de ces deux industries spéciales qui appartenaient plus en propre à Domremy et aux villages avoisinans, les célèbres foires de Troyes avaient établi depuis des siècles des relations périodiques entre le pays que Jacques d’Arc, père de Jeanne, était venu habiter et la province de Champagne où il avait vu le jour. Les