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nuit les locataires livrent de sanglantes batailles à des hôtes fort incommodes. Tel est le triste gîte qui, après avoir été occupé quelques semaines par une famille malheureuse, va abriter une autre famille tout aussi misérable. Habituée à cette existence, l’aspect de cette nouvelle chambre, sale, délabrée, ne l’étonné point, Ayant constamment vécu dans le désordre et la malpropreté, que lui importe de changer de taudis ? elle y est née, elle y finira. Mais, lorsqu’à la suite de malheurs imprévus, un ouvrier habitué à l’ordre et à la décence est contraint, pour ne pas coucher dans la rue, de se réfugier dans un de ces affreux bouges, de quel découragement ne doit pas être prise la pauvre mère qui n’a même pas d’eau pour nettoyer la place où vont reposer ses enfans ? Lorsque, dans cet infect et étroit réduit, cinq ou six personnes sont obligées de vivre, ne prévoyez-vous pas quelles seront les conséquences d’un pareil encombrement et quel air sera respiré par tous ces individus renfermés dans un local où l’on fait la cuisine sur un fourneau de fonte devant lequel, en hiver, sèchent des couches, des vieilles hardes, et où sont souvent accumulés des débris de toute sorte, répandant une odeur nauséabonde ? »

Les conséquences de cet encombrement sont en effet, au point de vue hygiénique, faciles à prévoir, et les chiffres, dont je ne voudrais pourtant pas abuser, ont ici leur signification. De tout temps on a constaté la rapidité avec laquelle les épidémies se développaient dans les quartiers pauvres et le grand nombre des victimes qu’elles faisaient surtout dans les régions où la population est entassée. Villermé a mis le premier ce fait en lumière par ses études statistiques sur l’épidémie cholérique de 1832, et tous les travaux de même nature n’ont fait que confirmer ses observations. Cela résulte en particulier d’un très intéressant rapport du docteur Jules Worms, médecin de la préfecture de la Seine, sur la marche de l’épidémie cholérique de 1873, Ce qui parait toutefois avoir influé en 1873 sur le développement du choléra, ce n’est pas le chiffre de la misère dans chaque arrondissement, c’est l’entassement des habitans. Celui de tous les arrondissemens qui a été le plus éprouvé, c’est celui de l’Hôtel-de-Ville, qui est par excellence le quartier des rues étroites et des hautes maisons ; l’arrondissement de Montmartre et celui de l’Enclos-Saint-Laurent, où la population est très dense, ont compté de nombreuses victimes. Les XIXe et XXe arrondissemens, où nous avons rencontré tant de misère, ont été moins frappés, sans doute parce que la population y vit plus au large, et le XIIIe, qui est cependant le plus pauvre de Paris, mais où une population peu nombreuse est disséminée sur une vaste étendue de terrain, n’a compté qu’un nombre insignifiant de décès. La