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fermait la porte de la cité se sont établis, sur ce terrain, dans des cahutes, moitié en planches, moitié en plâtras, qu’ils ont parfois construites eux-mêmes, et pour lesquelles ils ne paient guère que 70 à 80 francs de loyer. Le nombre de ces cahutes s’accroît assez rapidement, et la fantaisie populaire a baptisé naguère cette agglomération nouvelle du nom de cité des Khroumirs. J’ai vu au milieu de ce parc à chiffons un vieillard et sa femme qui demeuraient dans une voiture roulante en bois. Moyennant cet ingénieux expédient, ils n’avaient à payer que la location des quelques mètres de terrain qu’elle occupait. Le mari était un peu fou, la femme trop âgée pour travailler. De quoi vivaient-ils ? Mystère. A côté de cette voiture s’ouvrait une porte en bois entrebâillée ; je la poussai et me trouvai dans une petite cour encombrée de chiffons et d’ordures de toute sorte. Trois masures rappelant, à s’y méprendre, ce qu’on appelle dans nos campagnes des toits à porc, s’ouvraient dans cette cour. Sur le seuil de l’une d’elles une vieille femme était assise ; elle grattait soigneusement avec un couteau un os qu’elle avait tiré d’un tas d’ordures et étendait sur son pain les débris de viande qu’elle en retirait : c’était une chiffonnière. Je voulus entrer en conversation avec elle, lui demander quelques renseignemens sur sa vie, sur ses gains journaliers ; mais je n’en pus tirer que quelques paroles incohérentes et je m’aperçus bientôt qu’elle était ivre.

Je ne voudrais pas prolonger plus longtemps qu’il n’est nécessaire cette promenade dont la tristesse finirait par devenir monotone. Il faut cependant que mes lecteurs veuillent bien se transporter avec moi à l’autre extrémité de Paris, dans cette vaste région qui s’étend des environs du Père-La-Chaise au bassin de la Villette, entre les boulevards extérieurs et les fortifications. Avant que la banlieue eût été annexée à Paris, elle comprenait plusieurs villages ou hameaux séparés par des terrains vagues, Charonne, Ménilmontant, Belleville, la Villette. Leur réunion a formé le XIXe et le XXe arrondissement. Bien que l’annexion ait singulièrement uniformisé l’aspect de ces localités, cependant chacune garde encore quelques traces de son ancienne physionomie. Charonne, qui était autrefois un gros village peuplé de maraîchers, a conservé un aspect campagnard avec ses maisonnettes, dont les jardins renferment tous quelques arbres fruitiers, et sa vieille église située au milieu d’un cimetière sur le sommet d’un monticule. Ménilmontant, la Villette étaient et sont encore des localités populeuses habitées presque exclusivement par des ouvriers. C’est Belleville qui a le plus changé d’aspect, Belleville que Dulaure décrivait ainsi en 1825 : « Belleville, autrefois Poitronville, est traversée par des rues et des ruelles, bordées de belles maisons, de jardins, et qui aboutissent