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à coudoyer l’aisance, est toujours un peu honteuse d’elle-même, et si elle est habile à solliciter les secours, si elle connaît parfaitement toutes les ressources de la charité et y fait incessamment appel, elle a aussi je ne sais quelle pudeur qui fait qu’elle se dissimule et qu’elle ne veut pas du moins s’étaler dans la rue.

Transportons-nous maintenant au cœur de la nouvelle misère, et pour cela nous n’aurons pas d’abord bien loin à aller. Suivons la nouvelle avenue des Gobelins, qui n’est que l’ancienne rue Mouffetard prolongée ; franchissons la Bièvre, cette rivière au nom si connu, au cours ignoré, qui semble heureuse de cacher sous terre ses eaux noirâtres, et, laissant de côté, à droite, la vieille manufacture royale de tapisseries à laquelle la famille des Gobelins a donné son nom, à gauche, les grandes maisons de teinturiers et de tanneurs qui, depuis un temps immémorial, sont installés sur les bords de la Bièvre, nous arriverons à la place d’Italie. C’est là qu’était située l’ancienne barrière et que le coche venant de Lyon ou de Marseille se croisait autrefois avec les chaises de poste qui emportaient vers l’Italie les rares voyageurs assez riches et assez hardis pour affronter un voyage dans ces contrées lointaines. Mais l’annexion de la banlieue de Paris ayant reculé jusqu’aux fortifications les limites de la ville, la place d’Italie est devenue le centre d’un nouvel arrondissement, le XIIIe qui se compose des quatre quartiers de la Salpêtrière, de la Gare, de la Maison-Blanche et de Croule-Barbe. Bien que les deux arrondissemens soient limitrophes, il est impossible d’imaginer deux régions plus différentes que le Ve et le XIIIe. Tandis que sur le Ve la population est dense et entassée, elle est au contraire à l’aise et au large sur le XIIIe. La superficie du Ve est de 249 hectares pour 104,373 habitans, ce qui ne donne que 23m,86 carrés pour un habitant, tandis que la superficie du XIIIe est de 625 hectares pour 72,203 habitans, ce qui donne 86m,56 carrés pour un habitant. Aussi certaines portions de l’arrondissement et, entre autres, tout le quartier de la Maison-Blanche, ont-elles conservé un aspect rural. Les rues elles-mêmes ont encore des noms campagnards ; rue du Moulin-des-Prés, rue de la Fontaine-Mulard, rue de la Butte-aux-Cailles. Je ne voudrais pas répondre que cette butte reçoive encore la visite de l’oiseau de passage auquel elle a dû autrefois son nom. Mais parfois, par une froide journée de décembre ou de janvier, une volée de canards sauvages vient s’abattre sur l’étang que forment au fond d’une vallée assez profonde les eaux de la Bièvre et y demeure quelques jours cachée dans les herbes marécageuses. Cet étang est environné de terrains vagues où vaches, moutons, chèvres paissent en liberté, comme à la campagne, sous la surveillance d’un enfant ou d’une vieille femme. Quelques habitations bourgeoises ont