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contre, si le jeu naturel des lois économiques qui préside à la distribution des richesses devait résoudre (même graduellement et en tant qu’elle est soluble) la question sociale, et si une beaucoup moins grande inégalité des conditions devait caractériser notre développement futur, ne serait-il point temps que la société se mît en marche vers cette solution bénigne et quelques symptômes favorables ne devraient-ils pas faire pressentir cet état bienheureux ? On a vu qu’il n’en est rien et qu’à Paris du moins, le paupérisme ne diminue ni n’augmente. Serait-il téméraire et précipité d’en conclure que dans les sociétés complexes comme la nôtre, où la propriété n’atteint à peu près son maximum de division et l’organisation industrielle son maximum de perfectionnement, il y a comme un stock irréductible de paupérisme sur lequel le développement de la richesse publique cesse d’avoir action ? Faudrait-il, opposant formule à formule, aller jusqu’à dire, malgré ce que l’assertion présente au premier abord de contradictoire, qu’au-delà d’un certain degré de division des fortunes, l’accroissement de la richesse est sans influence sur la diminution du paupérisme ? C’est là une simple question que je me permets de poser pour le moment aux économistes de profession, avec les ménagemens qu’on doit à cette race non moins irritable que celle des poètes. Peut-être aurai-je occasion d’y revenir en montrant quelles sont à Paris les causes de la misère et en recherchant si ces causes n’ont pas par elles-mêmes quelque chose de permanent et d’indestructible.


II

La population indigente que nous venons de dénombrer se répartit, comme on peut penser, d’une façon tout à fait inégale entre les divers arrondissemens de Paris. Cette inégalité, qui est inévitable, tend de plus en plus à s’accroître et devient pour la répartition des secours une difficulté chaque jour plus grande, les arrondissemens qui sont les plus chargés de misère étant aussi ceux qui ont le moins de ressources charitables. A ne considérer que les chiffres bruts, celui de tous les arrondissemens de Paris qui paraît le plus misérable, c’est le XIe, dont la mairie est située boulevard Voltaire et qui s’étend depuis la rue du Temple jusqu’à la rue du Faubourg-Saint-Antoine. Le nombre des indigens recensés dans cet arrondissement s’élève à 14,491. Viendraient ensuite le XXe, c’est-à-dire Charonne, Belleville et Ménilmontant, avec 12,838 indigens ; le XVIIIe c’est-à-dire Montmartre, avec 12,089 indigens ; le XIXe, c’est-à-dire la Villette, avec 10,810 indigens ; le XIIIe, c’est-à-dire les Gobelins, avec 10,745 indigens, et le Ve, c’est-à-dire le Panthéon, avec 7,170 indigens. Mais si l’on considère la relation du