Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

population d’environ 2 millions d’habitans ! est-ce beaucoup, est-ce peu ? C’est beaucoup sans doute, doit-on dire, quand on songe que cela signifie 151,000 individus que nous coudoyons tous les jours, à côté desquels nous passons inattentifs, indifférens, qui souffrent dans leur corps et qui sont abaissés dans leur âme par cette vie toujours dégradante de la misère, qui ont vécu sans joie, qui mourront pour la plupart sans espérance dans la nuit intellectuelle et morale où ils auront vécu. En tout cas, c’est trop, c’est toujours trop. Mais on aurait peut-être le droit de répondre que c’est peu si la statistique internationale établissait que les grandes agglomérations urbaines des autres pays européens comptent une proportion d’indigens non moins élevée, ou bien qu’à Paris le nombre des indigens, eu égard à la population, était autrefois plus considérable. Il y a donc là, quelle que soit l’aridité des rapprochemens de chiffres, un double point de comparaison auquel il est nécessaire, pour se faire une idée exacte des choses, de s’arrêter un instant.

Rien ne serait plus instructif qu’une étude comparative du paupérisme dans les différentes capitales de l’Europe. Mais, pour que cette étude fût possible, la première condition serait que les principales nations étrangères commençassent par établir le dénombrement de leur population indigente. Or tandis que la statistique internationale abonde en renseignemens sur les finances, sur le commerce, sur l’instruction, sur la criminalité même, elle est muette sur le compte de l’indigence. Rien n’est facile comme de savoir pour chaque pays le nombre de kilomètres de chemins de fer, celui des illettrés et celui des voleurs. Mais celui des indigens, qui ne serait pas le moins intéressant, demeure un mystère. il n’y a qu’un pays qui fasse exception à cette règle, c’est l’Angleterre. Encore le soin avec lequel la statistique des indigens est dressée en Angleterre est-il expliqué par cette considération que la question du paupérisme est aussi une question de finances, puisque la charge imposée aux contribuables est en raison directe du nombre des pauvres inscrits. En effet, dans notre époque positive, il n’y a rien qui excite la sollicitude comme les questions de finances. Profitons donc de cette bonne fortune pour établir au moins une comparaison entre la proportion du paupérisme à Londres et celle du paupérisme à Paris.

Le résultat de cette comparaison surprendra peut-être, je le dis à l’avance, quelques-uns de mes lecteurs. S’il y a en effet, en France, une croyance accréditée, c’est que l’Angleterre en général, et en particulier la ville de Londres, est rongée par le paupérisme. Notre pays, après avoir mis autrefois sa gloire dans sa suprématie militaire, l’a mise aujourd’hui dans sa richesse. Le bourgeois de Paris aimait autrefois à se dire, au coin de son feu, que la nation française était la plus brave du monde ; il aime aujourd’hui à se dire qu’elle