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arriver et il arrive que le salaire de l’ouvrier se borne à ce qui lui est nécessaire pour se procurer sa subsistance. » D’après cet axiome, une loi fatale opposerait une barrière invincible à tout progrès dans la condition de la classe laborieuse et toute nouvelle richesse produite ne profiterait qu’à ceux qui possèdent déjà. Ce serait l’application industrielle et économique de la parole de l’évangile : « Il sera donné à celui qui a. » Pour mieux rendre cette désolante vérité, la littérature économique s’est même enrichie d’un luxe de métaphores jusqu’ici tout à fait inconnu à sa langue un peu terne. Les économistes ont emprunté au socialiste allemand Lassalle l’expression de loi d’airain pour désigner cette loi fatale qui tendrait toujours à ramener le salaire de l’ouvrier au minimum qui est nécessaire à sa subsistance. Ils ont baptisé du nom de sisyphisme l’effort impuissant que ferait l’invention humaine pour améliorer par ses découvertes la condition des hommes, effort dont le dernier résultat serait toujours de laisser retomber en bas ceux qu’elle aurait un instant réussi à élever. Enfin ils ont résumé leurs doctrines dans une formule qui a fait fortune par sa brièveté et qui est passée presque à l’état d’axiome dans une portion du monde économique : Les riches deviennent chaque jour plus riches et les pauvres chaque jour plus pauvres.

À ces affirmations peu encourageantes l’école optimiste oppose, au contraire, une imperturbable confiance dans le progrès des sociétés. Le chef de cette école est, en France du moins, un très brillant, très savant, très incisif écrivain dont le nom est bien connu de tous les lecteurs de la Revue, M. Paul Leroy-Beaulieu. Dans un livre rempli de faits et d’idées sur la répartition des richesses, qu’il a publié récemment, M. Leroy-Beaulieu s’est efforcé de démontrer que le paupérisme diminue, que l’écart entre les fortunes va en s’abaissant et que la tendance à une moindre inégalité des conditions sera la loi du développement futur des sociétés. Il appuie cette démonstration sur des faits incontestables, sur l’élévation du taux des salaires, sur l’abaissement du prix de certains objets de consommation, sur la diminution de l’intérêt de l’argent, sur la dépréciation de la grande propriété foncière et sur une foule d’autres considérations qui seraient trop longues à énumérer. Aussi conclut-il, à l’inverse des économistes allemands, que la question sociale se résoudra graduellement et d’elle-même (en tant, ajoute-t-il prudemment, qu’elle est soluble) par l’action des grandes causes économiques qui sont en travail depuis quelques années.

Enfin il existe une troisième école, celle des adeptes de la réforme sociale, qui marchent sous la bannière de M. Le Play et dont la doctrine a été exposée tout récemment dans un livre de