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LA MISERE A PARIS

I.
LA POPULATION INDIGENTE ET LES QUARTIERS PAUVRES.

« Depuis six mille ans, de même qu’il tombe du ciel une certaine quantité de pluie par année, il tombe du cœur de l’homme une certaine quantité de larmes. L’homme a tout essayé pour échapper à cette loi ; il a passé par bien des états différens, depuis l’extrême barbarie jusqu’à l’extrême civilisation ; il a vécu sous des sceptres de toute forme et de toute pesanteur ; mais partout et toujours il a souffert, et si attentivement qu’on lise son histoire, la douleur en est le premier et le dernier mot. » Ces paroles ne sont point empruntées aux déclamations d’un pessimiste ou aux lamentations d’un poète ; c’est de la bouche d’un chrétien et d’un prêtre qu’elles sont tombées, et leur triste éloquence a tracé de l’éternelle condition humaine un tableau qui répond trop fidèlement à la réalité. Mais ce tableau ne paraît-il pas d’une vérité plus saisissante encore lorsque l’imagination se représente les douleurs sans nombre cachées sous les toits de ces grandes villes où, pour reprendre une des expressions de Lacordaire ; l’homme a cru échapper à la souffrance par l’extrême civilisation et où l’extrême civilisation rend au contraire plus poignant le spectacle de la souffrance ? Lorsqu’on songe qu’à Paris en particulier, dans cette ville de joie, de plaisirs, de fêtes que nous habitons, il n’y a pas un jour, pas une heure, pas une minute même dont le cours ne soit marqué par quelque souffrance et que, si nous pouvions tout voir et tout