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qui s’est insinuée subtilement en lui et qui reparaît à l’improviste comme une habitude ou un souvenir. Et cette perversité qui le pousse à faire souffrir l’être qu’il aime, qu’est-ce donc ? Ah ! c’est que la débauche a mis en lui un étrange, presque paradoxal besoin de vengeance ; c’est qu’il a souffert autrefois, cruellement souffert des ruses de la sensualité et des perfidies du vice, et que, maintenant, par un fatal retour, imitant le crime commis jadis contre son cœur, il rend à un être innocent la souffrance qui lui a été infligée. En dépit de tout, il y a d’heureux momens où l’âme ne demande qu’à s’abandonner en toute naïveté, et ces momens-là abondent dans la Confession d’un enfant du siècle. Quelles charmantes descriptions de la campagne qui sert de décor aux amours d’Octave et de Mme Pierson ! que de poésie dans ces courses nocturnes à travers les bois, dans ces dialogues passionnés chuchotes dans les solitudes embaumées ou à la clarté des étoiles ! Hélas ! le contraste, à cette fraîcheur, à cette paix, à cette naïveté, n’est jamais bien loin. Subitement arrive quelque mot malheureux qui fait tomber tout cet enchantement en poussière. Vous rappelez-vous l’impression que vous avez ressentie lorsque, vous promenant dans une campagne où tout était verdure et fleurs, vous vous êtes tout à coup trouvé en face de quelque fabrique de produits chimiques ou autre usine de même genre, dont les influences délétères ont desséché aux alentours toute végétation ? tel est le contraste que présente invariablement chaque scène de la Confession d’un enfant du siècle, et il ne saurait y en avoir de plus désagréable. Comprenez-vous maintenant combien nous avions raison, en commençant cette étude, de dire que, si les sentimens chantés par le poète étaient coupables, c’était à lui qu’il fallait laisser le soin de prononcer la condamnation ? »

La Confession d’un enfant du siècle, qui parut dans les premiers mois de 1836, fut le dernier livre considérable d’Alfred de Musset. La confession de l’enfant est faite, nous attendons maintenant l’homme à l’œuvre, lui disait ici même Sainte-Beuve au lendemain de la publication de ce livre. Nul doute qu’Alfred de Musset ne se soit tenu à ce moment le même langage que lui tenait Sainte-Beuve. C’était le vieil homme qu’il venait d’enterrer, et il croyait certainement qu’il allait commencer une nouvelle existence, plus triste peut-être que l’ancienne, mais plus pure, et dont l’admirable Nuit de mai, publiée quelques mois auparavant, pouvait passer pour la mélancolique préface. Cette espérance ne devait jamais se réaliser. Le vieil homme avait des racines trop profondes ; pour se laisser ainsi extirper ; peut-être aussi la blessure qu’il avait reçue avait-elle pénétré trop avant pour que la santé revînt jamais au poète. Avec la Confession d’un enfant du siècle, la période créatrice de