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l’expression admirable de ce désastreux état d’âme où le poète eut un moment l’illusion, cette pièce nous le dit, de chercher un principe fécond d’inspiration. N’exagérons cependant cette douleur ni les conséquences qu’elle put avoir. Comme l’aventure fît le bruit que l’on peut croire, il fut longtemps admis que toutes les inspirations douloureuses des poésies lyriques de Musset se rapportaient au même amour ; nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien et que Musset chercha à se guérir de cette blessure en en provoquant beaucoup de semblables. Son frère Paul a déchiré le voile pour ce qui concerne la plus belle des quatre Nuits, la Nuit de décembre, qui fut inspirée par une rupture d’amour sans rapport aucun avec celle dont nous venons de parler. De son côté, Mme Jaubert, que le poète appelait sa marraine, et qui avait trouvé pour lui ce nom digne d’un prince des bons vieux contes de fées, Phosphore du cœur volant, — sobriquet qui peint à merveille l’inflammabilité de la nature de Musset, mais n’implique pas une bien grande confiance dans la fidélité de ses sentiment — nous apprend qu’il ne tint qu’à la princesse de Belgiojoso, alors dans tout l’éclat de sa beauté célèbre, d’essayer de son pouvoir pour effacer les traces de ces chagrins antérieurs. Il parait qu’elle n’en eut pas la curiosité et qu’elle y ajouta un chagrin nouveau, c’est-à-dire un refus sans ombre de charité. Elle lui écrivit, nous dit Mme Jaubert, que le châtiment des amours vulgaires était d’interdire à celui qui s’en rendait coupable l’aspiration aux nobles amours, et comme on n’aime pas à s’entendre faire des complimens pareils, Musset rima pour se venger la petite pièce Sur une morte, où il faisait par anticipation l’épitaphe de la princesse. Et combien d’autres inconnues dont les silhouettes se montrent tant dans le livre de Paul de Musset que dans des Souvenirs de Mme Jaubert ! combien d’initiales qui livreraient leur secret sans qu’il fût nécessaire de beaucoup les interroger ! Tout lecteur de Voltaire se rappelle certainement la vengeance originale que le bel Amazan inventa contre la princesse de Babylone lorsqu’il crut avoir à s’en plaindre : « Ah ! princesse, comme je vous punis ! comme je vous punis ! » s’écriait-il chaque fois qu’il se surprenait lui-même dans le flagrant délit de la plus positive infidélité. Il faut’ bien avouer que c’est un peu l’agréable méthode par laquelle Musset entretint sa douleur, et nous savons pertinemment aujourd’hui que les applications qu’il fît de cette méthode furent assez nombreuses pour que désormais on ne fasse pas porter à une illustre mémoire plus de torts qu’elle n’en eut réellement.

Nous nous serions volontiers dispensé de toute allusion à ces aventures, mais hélas ! elles se rapportaient trop directement à notre sujet pour que nous pussions les négliger. L’amour fut la seule religion