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passions extrêmement courtes. Vive et courte, telle fut en effet la passion à laquelle nous faisons allusion. Les natures des deux amans étaient également exigeantes, mais ces exigences étaient de caractère tout opposé. Du côté de Musset, la triste Confession d’un enfant du siècle nous le dit, ces exigences prenaient leur source dans un tempérament nerveux à l’excès qui, multipliant sans mesure les saillies, les boutades, les caprices, les dépits, les susceptibilités, les soupçons, les reproches, n’accordait à l’amour ni trêve ni repos, et devait par là d’autant plus vite le lasser et l’épuiser. Tout autres étaient les exigences de la personne illustre qui fit naître et partagea cet amour célèbre. Il existe de cette personne un portrait peint par Delacroix à peu près à l’époque de cette passion, portrait qui ne se trouve pas très loin du lieu où paraissent ces pages ; il est impossible de ne pas être frappé de l’expression de paix qui émane de ces traits calmes et de ces grands yeux qui ont la limpidité sans transparence et la profondeur immobile des belles eaux dormantes. Ou l’enveloppe est bien trompeuse, ou l’âme qu’elle recouvrit dut avoir un impérieux besoin de repos. La lutte lui coûtait certainement ; et par conséquent devenait facilement mortelle à qui la provoquait. D’un côté, l’amour dégénéra vite en amertume et en colère, de l’autre il dégénéra vite en froideur et en ennui. Cette personne si foncièrement calme, dont les emportemens n’étaient que dans l’éloquence, fut victime en cette occasion de cet attrait d’imagination qu’elle ressentit plusieurs fois dans sa vie pour les natures nerveuses, précisément parce qu’elles étaient aux antipodes de la sienne. C’est là une opinion qui n’a qu’une fondement tout psychologique ; mais ce qui nous porte à croire qu’elle n’est pas loin de la vérité, c’est que nous voyons que la même histoire s’est répétée, à certaines différences près, dans les relations de cette femme illustre avec cet autre nerveux maladif, qui eut nom Frédéric Chopin, dont les inquiétudes fébriles avaient fini par lasser son courage autant que les impatiences ; de Musset. Lisez, pour vous en convaincre, dans le livre que Liszt a consacré à l’élégant musicien, la partie qui concerne ces relations.

Les conséquences de cette passion et de la brusque rupture qui y mit fin furent certainement considérables pour Musset. A quel point sa douleur fut vivace, la superbe pièce intitulée Souvenir, écrite six ans après l’événement, en est un impérissable témoignage. Il avait toujours eu une tendance à la mélancolie, mais jusque-là cette mélancolie avait été celle qui est la sœur inséparable de la rêverie, ou cette mélancolie mixte qui peut s’associer à des sentiment agressifs, belliqueux ou révoltés ; à partir de cette aventure, il versa de plus en plus dans la vraie mélancolie, celle qui naît du désenchantement et de l’abandon de soi. La Nuit de mai reste