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y dépense à peu près 300 francs. On voit que les revenus du patriarcat grec sont solidement assurés.

On se tromperait d’ailleurs si l’on croyait que la laine tondue sur le dos des malheureux pèlerins sert à vêtir le patriarche seul. Tout est vénal dans le clergé grec ; les charges y sont données à l’élection, et l’élection se fait à prix d’argent. Il en résulte qu’à peine entré dans les rangs de la sainte milice, un pope quelconque peut entrevoir dans ses rêves ambitieux les plus hautes dignités de l’église. Ce n’est pas à son mérite ou à sa vertu qu’il les devra, c’est à sa bourse. Aussi se met-il courageusement à l’œuvre pour se procurer par tous les moyens un petit pécule qui lui permette de se rapprocher du but en franchissant quelques échelons de la hiérarchie ; les sommes dépensées à cet effet sont loin d’être perdues, car, chez les orthodoxes, chaque fonction est un champ d’où l’on tire d’abondantes moissons ; plus on la paie cher, plus elle rapporte ; on y retrouve rapidement intérêt et principal. Il serait trop long d’exposer ici l’organisation de l’église orthodoxe et de faire un tableau fidèle de l’état de démoralisation où elle est arrivée. Elle compte en Syrie deux patriarches, celui d’Antioche et celui de Jérusalem, plus un très grand nombre d’évêques. Il y a lieu de distinguer dans son personnel les orthodoxes arabes et les orthodoxes grecs ; la plupart des évêques, des archimandrites et une partie des moines sont des phanariotes, tandis que le bas clergé est arabe. Ils se valent tous ou à peu près pour les mœurs, car si les Arabes n’ont qu’une idée très vague de ce que c’est que la moralité, les phanariotes de leur côté sont totalement dépourvus de délicatesse dès qu’il s’agit de s’enrichir et de prospérer. Du mélange des vices grecs et des vices arabes résulte même une combinaison qui porte au plus haut degré possible dans le clergé orthodoxe l’esprit de rapine, d’intrigue, de dissolution. Mais, malgré ou peut-être à cause de cette conformité parfaite de sentiment, l’accord est bien loin d’être complet entre les Grecs et les Arabes. Ces derniers reprochent aux Grecs d’être uniquement préoccupés d’hellénisme et de ne considérer la Syrie que comme un lieu de pillage où ils viennent ramasser de l’argent pour soutenir « la grande idée. » Cette manière de voir est tellement répandue aujourd’hui que la Russie a cessé depuis quelques années de donner aux couvens grecs de Palestine les grosses subventions qu’elle leur accordait généreusement autrefois. Elle a prétexté les malheurs des temps, la ruine qui est résultée de la dernière guerre, pour arrêter ses largesses compromettantes ; mais, en réalité, ce qui l’a décidée, à mettre un terme, c’est qu’elle a reconnu que les sommes qu’elle versait aux couvens orthodoxes étaient surtout employées au profit de la cause de l’hellénisme, pour laquelle, on le sait, elle éprouve une