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ornée des images les plus saugrenues, ressemble à l’autel de la plus maussade de nos églises de village. Les lampes et les cierges y sont répandus à profusion. Chaque communauté, bien entendu, a un droit exclusif sur les siens. Il faut reconnaître cependant que, lorsqu’une communauté quelconque célèbre une cérémonie, les deux autres allument leurs propres lampes et leurs propres cierges avec une bonne grâce qui est une preuve des progrès de la tolérance. Mais ces lumières n’éclairent que des oripeaux. Certains édifices ressemblent aux hommes dont la poitrine est surchargée de décorations, de rubans et de ferblanterie. Tel est le Saint-Sépulcre. La petite porte par laquelle on pénètre dans le tombeau est la seule partie de la façade qui soit quelque peu dégagée d’ex-voto. Tout le reste en est couvert. Quand on franchit cette porte, on se trouve dans deux petites salles basses, où l’on a quelque peine à se tenir debout : l’une, appelée la Chapelle de l’ange, sous prétexte qu’elle occupe l’emplacement où se tenait l’ange qui annonça aux saintes femmes la résurrection de Jésus, est revêtue de marbre ciselé en ornemens du style le plus rococo ; au centre se trouve la pierre sur laquelle l’ange était assis ; la seconde, la chapelle même du tombeau, a des dimensions plus étroites encore que la première, attendu que celle-ci mesure 8 mètres de long, tandis que sa longueur à elle dépasse à peine 2 mètres ; elle est pourtant divisée en trois parties nettement limitées, propriétés distinctes des Grecs, des Latins et des Arméniens, lesquels ont trouvé le moyen d’accumuler tant de lampes, tant de fleurs, tant de chandeliers, tant de tableaux et tant de colifichets dans cet espace restreint qu’on en est complètement étourdi. Quelques personnes à peine peuvent tenir dans les deux chapelles, on y est sans cesse bousculé ; il faut avoir une piété bien résistante pour y prier avec recueillement sous les pieds qui vous écrasent et sous les coudes qui vous renversent.

Je suis allé tout droit au centre de l’église du Saint-Sépulcre ; mais on n’y arrive pas d’ordinaire aussi aisément, ni surtout aussi vite. La basilique n’est ouverte qu’à des heures fixes et pour un temps déterminé. Quatre ou cinq Turcs à mines fort respectables, négligemment couchés sur un divan où ils boivent du café, fument des narghilés et regardent dédaigneusement défiler les chrétiens, sont les portiers et les gardiens du Saint-Sépulcre. Tous les voyageurs impartiaux ont constaté combien il était injuste d’accuser les Turcs d’intolérance ; leur tenue au Saint-Sépulcre est très correcte et très digne. Lorsque les rivalités entre communautés risquent d’amener des rixes durant les cérémonies religieuses, on fait appel à des bataillons turcs qui stationnent dans le parvis, se rangent dans l’église, assistent à la messe et aux processions avec l’attitude la plus