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entreprise tunisienne. Il y a peu de jours, le chef du cabinet de Londres, M. Gladstone, saisissant l’occasion qui lui était offerte dans le parlement, n’a point hésité à reconnaître plus ou moins implicitement les droits de la France à rappeler qu’on ne pouvait pas reprocher à un gouvernement ami de faire ce que l’Angleterre a fait plus d’une fois ; il a insisté sur l’intérêt qu’il y avait pour les deux nations à ne pas se laisser détourner de l’alliance qui les unit a depuis plus d’une génération. » Le gouvernement anglais a pu faire diplomatiquement ses réserves sur certains points réglés par le dernier traité tunisien et prendre acte des déclarations, des engagemens de notre cabinet. Il n’a rien fait de plus et il n’a visiblement l’intention de rien faire de plus dans une question où il se sent d’ailleurs lié par la politique de ses prédécesseurs, de lord Salisbury ; mais en dehors des gouvernemens, il est bien clair qu’il y a une certaine opinion qu’on a cherché à émouvoir. La mauvaise humeur ne se cache pas. On n’est pas allé sans doute jusqu’à nous mettre complètement en accusation et à solliciter la réunion d’une conférence pour nous juger ; on n’est pas allé non plus jusqu’à encourager le bey dans ses résistances et la Porte dans ses protestations, dans ses velléités d’intervention. On ne s’est pas du moins interdit les mauvais propos, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que toute cette mauvaise humeur prend soin de se déguiser sous la forme d’une sollicitude sympathique et inquiète. Quoi donc ! depuis dix ans, la France était si sage, si peu embarrassante ; elle laissait tout faire, et la voilà se lançant de nouveau dans les aventures, perdant d’un seul coup sa bonne renommée de modération, inquiétant ses amis, — qui sait ? menaçant peut-être déjà la paix de l’Europe ! Et les Italiens se joignant aux Anglais assurent, eux aussi, que nous nous exposons à perdre leur amitié !

Ce sont là, pour parler franchement et sans mauvaise pensée, d’étranges amis des grandes occasions. Quelle idée se font-ils donc de notre pays et quel est le rôle que leur amitié veut bien nous permettre ? Tant que la France, éprouvée par les plus grands malheurs, abandonnée de tous, se fait du recueillement une politique, évitant toute démarche indiscrète, se prêtant à tout ce qui peut maintenir la paix, laissant les autres suivre leurs ambitions, oh ! alors, on n’a pas assez de louanges et de complimens pour elle. Le jour où, ne consultant que son intérêt et son droit, sans troubler ni menacer personne, elle croit le moment venu de songer à ses propres affaires, elle redevient aussitôt la nation remuante et ambitieuse. Il faudrait pourtant en finir avec ces vaines récriminations et voir la vérité ! La vérité vraie, c’est que si la France, pendant bien des années, s’est tenue dans une réserve absolue, nécessaire, cette réserve ne pouvait être une abdication, et que si elle s’est décidée aujourd’hui à aller chercher à Tunis la sûreté de ses