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Un autre inconvénient caractéristique de cette réforme, c’est qu’elle a par trop l’air d’être la victoire d’un homme, l’affaire personnelle de M. le président de la chambre des députés. M. le président de la république paraît avoir eu des doutes sur l’opportunité de la loi nouvelle ; il n’a rien dit, réfugié qu’il est dans son irresponsabilité. Le ministère, qui n’est pas irresponsable quant à lui, qui est censé être le chef de la majorité, le ministère n’a rien dit non plus, paralysé qu’il est par des divisions d’opinions. M. le président de la chambre a seul triomphé : c’est son œuvre et son succès ! M. Gambetta, cela est bien clair, cherche, dans ce qu’il appelle une « concentration du suffrage universel, » des forces nouvelles dont il compte se servir un jour ou l’autre, et il n’a même pas caché que ce qu’il aime dans le scrutin de liste, c’est sa ressemblance avec le plébiscite. Il faut à M. le président de la chambre les grands moyens dignes des grandes ambitions ! Assurément M. Gambetta est désormais un personnage dans la république, et cette position qu’il a aujourd’hui il l’a conquise pas à pas depuis dix ans par la parole, par la dextérité, par ses interventions décisives dans les momens les plus difficiles, par l’habileté avec laquelle il a su maintenir et agrandir sans cesse son influence dans le parlement et hors du parlement. Son importance est un de ces faits avec lesquels il faut toujours compter en politique. Malheureusement, avec toutes les qualités qui expliquent ses succès et sa marche ascendante, M. Gambetta laisse voir à tout instant, dans sa forte et souple nature, de singulières lacunes. Avec lui, les observateurs désintéressés ne savent jamais bien où ils en sont. Un jour, il parle en politique avisé, en homme de gouvernement, presque en sage ; le lendemain, il a le langage, les procédés, les vulgaires brutalités d’un sectaire. Tantôt il se montre conciliant, à peu près modéré, — tantôt il se laisse aller aux passions les plus exclusives, aux plus violentes intolérances de parti. Au moment où il désavoue toute pensée d’antagonisme vis-à-vis de M. le président de la république, il se laisse traiter en chef de l’état, il parle en chef de l’état, et sa bonhomie assez ronde s’accommode parfois d’une ostentation qui ressemble à de la comédie. M. Gambetta a de la popularité, on le voit bien ; il n’en est pas encore à inspirer cette confiance sérieuse sans laquelle un homme public ne peut rien, et ce qui lui manque, il ne l’aura certainement pas trouvé dans son récent voyage à Cahors, au milieu des fêtes et des galas qui lui ont été prodigués.

Rien certes de plus simple que le sentiment qui ramenait M. Gambetta dans sa ville natale, après dix ans d’absence, et rien de plus naturel aussi que l’empressement des habitans de Cahors à recevoir, à fêter un si brillant compatriote. On conviendra bien pourtant que la réception a manqué un peu de simplicité, qu’il y a eu un peu trop de carillons sur le passage du triomphateur, trop de pompes, trop de mise en scène, trop de préfets des départemens circonvoisins, trop de