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la chambre des députés, qui sont dans l’opinion, et que toutes les discussions, tous les artifices de parole n’ont pu entièrement dissiper ? Il faut voir les choses comme elles sont. La vérité est que, dans tous ces débats, il n’y a aucune de ces questions supérieures qui peuvent passionner ou diviser les esprits, mais qui les animent et les relèvent en leur offrant un but précis et distinct. Il ne s’agit nullement d’un principe de droit public, pas même de la valeur comparative du scrutin de liste et du scrutin d’arrondissement. Il s’agit d’une tactique, d’une stratégie dont on ne démêle pas toujours les secrets. Ce scrutin de liste auquel on revient aujourd’hui, il n’a rien de nouveau ni rien d’inquiétant. Depuis que le suffrage universel existe, il a été souvent pratiqué et il a cela de particulier qu’il a profité alternativement à tous les partis. Il peut avoir l’avantage de dégager les élections de la vulgarité des influences locales, de leur imprimer un caractère plus politique, et dans un autre moment ou dans d’autres conditions, il eût été sans doute moins contesté. Non, ce n’est pas l’idée elle-même qui est en question. Cette idée, reprise il y a quelques mois en toute sincérité par un esprit aussi distingué que bienveillant, aurait pu être étudiée ; elle aurait pu être réalisée avec maturité et traduite dans une législation sérieuse, prévoyante. Ce qui l’a compromise et rendue assez suspecte, c’est qu’elle n’a pas tardé à se compliquer, et à prendre la forme, le caractère d’un expédient conçu pour faire en quelque sorte violence à toute une situation. Parlons franchement. Quelle que soit la valeur théorique du scrutin de liste, la réforme pour laquelle on a livré l’autre jour une si ardente bataille, cette réforme, par la signification qu’elle a prise, par les circonstances dans lesquelles elles s’est produite, avait des inconvéniens de diverse nature qui ne pouvaient manquer de donner à réfléchir, qui devaient frapper des esprits sérieux ou, si l’on veut, défians.

Le premier de ces inconvéniens, c’était que la réforme nouvelle avait évidemment quelque chose d’artificiel et d’arbitraire. Elle ne naissait pas de la situation même. Elle a pu être examinée, débattue dans des polémiques plus ou moins habiles, plus ou moins ingénieuses ; elle ne répondait à aucun mouvement sensible d’opinion, à aucune sollicitation, à aucun désir saisissable du pays. Depuis quelques mois, tous les conseils locaux, départementaux, ont eu l’occasion de se réunir, ils ont pu émettre des vœux ? il n’y a eu en réalité aucune apparence de manifestation. Il a pu y avoir un certain bruit de discussion, une certaine agitation dans ce monde où les questions factices se succèdent, où tout est livré, matin et soir, à l’ardeur des polémiques ; la masse nationale est restée à peu près indifférente.

Bien mieux : l’idée d’une réforme de ce genre qui a toujours sa gravité ne se produit d’habitude que lorsqu’on croit avoir à se plaindre d’un régime, lorsqu’on a souffert dans ses opinions ou dans ses