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faut pleurer, c’est aux sanglots ; » Mais les sanglots, chez lui, ne parviennent guère à se pousser qu’entre deux éclats de rire. Il est sur ce chapitre comme Julie, sa chère sœur, laquelle, avec son « air de folie, » admire tendrement Richardson, et, pour exprimer que son âme est sombre, dit : « Mes idées sont puce ; » il est pareil à ce personnage de Clarisse Harlowe, dont il parle à son père : « Je suis un peu comme votre bonne amie miss Howe, qui, quand elle avait bien du chagrin, pleurait en riant, ou riait en pleurant.. » C’est ainsi que Figaro pleure ses premières larmes ; le rire échappe au travers : « Va te promener, la honte ! je veux rire et pleurer en même temps ! » Que Figaro soit « attendri » ou qu’il soit « exalté, » qu’il porte même ses mains sur sa poitrine en disant : « Ce que j’ai là, je l’ai comme un plomb, » nous sommes tranquilles, son rire va bientôt sonner comme neuf, son joyeux visage sera nettoyé de son chagrin. Beaumarchais ne fait ici que se rappeler un moment qu’il est l’auteur d’Eugénie et des Deux Amis ; il accorde un souvenir à ce genre qui, étant nouveau, l’avait dû tenter. D’ailleurs une partie des recettes de la Folle Journée n’est-elle pas consacrés à l’institut des mères nourrices ? Quand le père Caron vous disait qu’il y a un juste et noble rapport entre son fils et Grandisson !

Pour un accès de sentiment, qui marque le milieu de la pièce, il ne faut pas, vous me l’accorderez, en méconnaître le caractère, ni la transformer toute en « tragédie domestique. » Il ne faut pas davantage considérer le monologue comme un placard révolutionnaire, un manifeste affiché par l’amour au bout de sa comédie ; il ne faut pas surtout élever le ton du personnage depuis le commencement de la pièce pour qu’il se trouve enfin à la hauteur de cette tirade. Il faut prendre ce monologue pour ce qu’il est tout simplement : un morceau d’exposition, habilement façonné, qui se trouve ici hors de sa place et alourdit la fin de l’ouvrage. Beaumarchais, ne l’oubliez pas, si bien doué qu’il soit, n’est pas un homme du métier : la tirade du Barbier se trouvait au début de la pièce : c’était une heureuse chance ; celle-ci tombe à la fin : c’est un fâcheux hasard. Figaro s’avise de philosopher mal à propos, il interrompt la fête. Mais quoi ! on nous l’a dit : « donnant le présent à la joie, il s’inquiète de l’avenir tout aussi peu que du passé ; » il donne, cette fois, le présent au discours, il oublie ce qui précède et ne s’inquiète pas de ce qui va suivre. En cela encore il imite son auteur, qui, volontiers, dans une lettre, se prend à considérer « comme les choses de ce monde s’engrènent, et comme les chemins de la fortune sont bizarres, » quitte à revenir tout à coupa l’objet de son message : « Mais ce n’est pas de la morale que je vous ai promis, c’est une chansonnette fort tendre… » Figaro, jaloux de sa femme, s’arrête à trancher du raisonneur, comme Beaumarchais écrivant une lettre à sa fiancée s’arrête à trancher du métaphysicien. C’est que ce diable d’homme, en effet, qu’il écrivit une lettre ou