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son irrévérence, on joue à Trianon le Barbier de Séville : le comte d’Artois fait Figaro et la reine fait Rosine.

De ce rapide examen que ressort-il, sinon que Figaro, le dernier en date des valets de comédie, n’est ni un héros, qui raisonne en souffrant, ni un réfractaire, qui se propose de bouleverser l’ordre social ? Il s’est trouvé, en effet, le dernier de ces lurons qui représentent depuis la comédie latine la perpétuelle protestation de l’esprit contre la force : il est le dernier successeur des Dave et des Liban. La révolution approche qui va faire Crispin l’égal de son maître : Crispin désormais n’aura plus mission au théâtre de représenter l’esprit ni autre chose, mais seulement de présenter, comme il fait dans la vie, des lettres sur un plateau. Nous pouvons après coup emplir ce type de Figaro de toutes les philosophies qu’il nous plaira d’y verser ; mais cet excès d’honneur, il ne le prévoyait guère. Il fut peut-être le courrier de la révolution française, mais sans le savoir et sans entendre ce qui roulait derrière lui : n’en faites donc pas un précurseur criant que les temps sont venus ; montrez-le-nous sur le théâtre, insouciant, fripon, sémillant, déluré, tel qu’il y parut pour la première fois, et non chargé de cette importance que lui prêtent à présent des gens trop informés de ce qui suivit.

En deux points cependant, il est vrai que cette gaîté se trouble : au troisième acte et au cinquième. Au troisième, la reconnaissance imprévue de Figaro par ses parens nous jette un moment dans le drame bourgeois, dans la comédie larmoyante ; au cinquième, le fameux monologue suspend l’intrigue à la façon d’une parabase d’Aristophane. Mais suit-il de laque la pièce soit triste, ou qu’elle soit révolutionnaire ? Nullement. Cette scène de reconnaissance, que le public à présent prend tout entière au comique, n’est qu’un accident de sensibilité, dans le goût du XVIIIe siècle. Beaumarchais, au commencement de son quatrième mémoire contre Goëzman, où il choisit pour interlocuteur le bon Dieu lui-même, a bien soin de se faire dire par ce compère Éternel : « Tu sais avec quelle profusion je versai la sensibilité dans ton cœur et la gaîté sur ton caractère. » C’est bien cela ; Beaumarchais est aussi sensible que gai. Le père Caron, l’horloger, qui signe ses lettres à son fils : « ton bon père et ami, » le père Caron trouve « un juste et noble rapport » entre Grandisson et ce fils ; et, en écrivant ces mots, il ne manque pas de laisser tomber sur le papier des larmes de tendresse. Que voulez-vous ? c’est la mode. Beaumarchais, à treize ans, à l’âge de Chérubin, après le mariage d’une jeune personne qu’il pensait aimer, demandait à ses sœurs des nouvelles qui jetassent « un peu de clair dans sa misanthropie ; » il rêvait de se tuer, le polisson, et s’en voulait de ne pas détester encore « tout ce qui porte cotillon ou cornette, après tous les maux que l’espèce lui avait faits ! » Plus tard il déclare à Mme d’Albany : « Quand je veux rire, c’est aux éclats ; s’il