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d’être jetés en métal pour prendre toute leur valeur. Au premier rang, il faut placer un Pierre le Grand qu’a envoyé M. Antokolski, artiste russe dont le talent considérable nous a été révélé par la dernière exposition universelle. Le czar, s’appuyant sur une canne, s’avance sur un sol qui paraît sauvage. Composition simple et hardie, caractéristique, vigoureuse, qui, sans aucun artifice, évoque l’image très personnelle d’un homme de génie. M. Mabille et M. L. Martin ont aussi exposé deux statues remarquables par leur aspect décoratif : du premier nous avons un Méléagre, du second un Persée. Ce qu’il faut louer dans ces modèles, c’est la variété de leurs silhouettes, toutes heureusement déduites de la donnée première, de telle sorte que, sous quelque aspect que se présentent les statues, on saisit bien leur individualité et on comprend toute l’énergie de leur action. L’accentuation franche des formes et la manière dont elles sont débarrassées de vains détails, sont encore des qualités par lesquelles le Méléagre et le Persée appartiennent de droit au métal. Un Narcisse de M. Voyez, bien que plus compliqué, se présente cependant dans les mêmes conditions topiques.

Il y a eu, à toutes les époques et particulièrement à la nôtre, des peintures et des sculptures qui sont restées des têtes d’écoles. Leur nouveauté a été comme un éclaircissement pour beaucoup d’esprits. Elles ont été investies dès leur apparition de toute l’autorité qui appartient aux choses anciennes. Mais leur plus grande originalité a été d’ouvrir la voie à des générations d’artistes en leur découvrant le but de leurs secrètes aspirations. Le Chanteur florentin de M. Paul Dubois a eu ce privilège. Lorsqu’il parut, les juges d’alors se mirent à raisonner à son endroit. On reconnaissait bien qu’il y avait là un grand mérite ; mais on discutait la tendance, on contestait le sujet. En revanche, on faisait observer que cette figure réunissait en elle les conditions de l’art le plus élevé. La composition en était pleine de naturel et très heureusement pondérée : l’antique n’avait pas d’équilibre plus parfait. Les formes étaient choisies et serrées par un dessin pur. Il y avait dans l’ensemble une harmonie pleine de fraîcheur et un charme exquis. Et toute cette grâce et toute cette légèreté appelaient le métal, fût-ce le plus précieux. Le Chanteur florentin eut un succès immense. Depuis, bien des sculpteurs y ont pensé et sont entrés de différentes manières dans la voie qu’il a ouverte. Par ses hautes qualités, il a influé sur tous les genres : mais nous voyons paraître chaque année quelque morceau de choix qui rappelle plus particulièrement l’œuvre maîtresse : M. Paul Dubois n’est jamais complètement absent d’une exposition. Et la descendance continue : l’an passé c’était l’Arlequin de M. de Saint-Marceaux ; cette fois, bien qu’à distance respectueuse, c’est le