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de la durée et de la puissance. Et quand même elle se borne à imiter, elle ne doit jamais laisser oublier qu’elle est par son extraction de race monumentale.


II

La sculpture, alors même qu’elle n’est pas appelée à concourir à un ensemble, est toujours un art dépendant ; elle tient en cela de l’architecture, avec laquelle elle a, d’ailleurs, des principes communs. Pris à part, un groupe, une, statue, un buste, sont des monumens. Dans la sculpture comme dans l’architecture, les lois de la composition sont des lois de construction. L’équilibre, la stabilité, sont les conditions essentielles de tout travail sculptural, et l’on souffre quand on est averti par l’instinct ou par une réflexion rapide que l’image dont on voudrait jouir est dans une assiette instable et que, pour ainsi dire, elle menace ruine. Comme l’architecte, le sculpteur doit compter avec les matériaux qu’il emploie. La nature et les qualités de ceux-ci influent puissamment sur la physionomie de ses œuvres et ont une part considérable à leur expression. La pierre, les métaux, toutes les matières plastiques répondent à des ordres de conception différens. Chacune a un génie latent et comme une vertu ; chacune a ses ressources et aussi ses limites : l’idée, tour à tour, doit entrer en accommodement avec elles. Le mode de composition que l’une rend possible, l’autre l’interdit ; les formes que l’une accepte, l’autre est impuissante à les recevoir. C’est pour ainsi dire en marbre et en bronze que le sculpteur doit penser.

Le langage rend parfaitement compte de ces phénomènes. Car, que veut-on dire quand on parle d’un marbre, d’un bronze, d’une cire, d’un ivoire ? S’agit-il simplement de morceaux exécutés indifféremment à l’aide de ces substances ? Non : on veut dire bien davantage. Cela signifie que le marbre et que le bronze, par exemple, avec les propriétés spécifiques qui les distinguent, se sont identifiés à ces ouvrages, et qu’ils les ont marqués d’un caractère générique tel que, même lorsqu’ils sont reproduits par le moulage et par le dessin, il est impossible d’en méconnaître la nature. Ils sont différens de tous autres par la donnée première, par l’aspect, par le modelé, par les plus humbles détails de la pratique ; tant l’artiste, en les concevant et en les élaborant, a dû s’inspirer des qualités caractéristiques du métal ou du calcaire et obéir à leur tempérament. L’accord de l’idée avec la matière est un des points les plus importans de la théorie de la sculpture. Les règles en sont fondées sur l’observation comme sur la raison. Il en résulte des divisions dont chacune a sa technique. Le domaine de l’art en devient plus