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Mais à cela ne se bornent point ses préoccupations. Ses devoirs et sa sollicitude s’étendent plus loin. Toutes les fois que paraît un beau tableau ou une belle statue, à quelque genre qu’ils appartiennent, l’état y reconnaît son bien. Ne faut-il pas qu’il ajoute aux collections nationales des productions contemporaines qui continuent la filiation de l’art ? Pour cela, à côté des musées permanens, il ouvre chaque année un musée temporaire, le Salon, et là il choisit les œuvres qui lui semblent destinées à durer. Ces désignations, il les fait ou les fait faire à son point de vue particulier. Il ne va point aux talens douteux : il s’adresse à ceux qui ont rencontré la faveur du public ou l’approbation des juges, à ceux qui, ayant eu le succès, peuvent être contestés plus tard, mais qui se sont imposés au moins pour un jour. Par tout cela, il rend un hommage aux arts, les fait concourir à la haute culture des esprits et de différentes manières travaille à l’histoire. Tel est le devoir de l’état, devoir qu’il ne songe point à abandonner, et tel est son intérêt.

Mais, à côté de cet intérêt, il y en a un autre, celui-là de nature différente : c’est l’intérêt de l’artiste. L’artiste produit en vertu d’un goût personnel et d’un tempérament. S’il est sincère, il n’obéira à aucun calcul. Il ne forcera point son talent pour l’élever aux hauteurs officielles lorsque son sentiment l’entraîne dans un autre sens. Si le cœur ne lui dit point de rechercher les encouragemens dont l’administration dispose, il se tournera d’un autre côté. Il s’adressera à une clientèle plus modeste. Il travaillera pour tel amateur, pour tel spéculateur, ou même pour l’étranger. Peut-être encore, esprit convaincu, ne cherchera- t-il dans son œuvre que sa propre satisfaction, restant incompris, attendant son heure. Mais plus il sera d’humeur indépendante, plus il aura besoin de chercher son secours en dehors de l’état. Alors ses productions courront risque d’être rebutées par le jury d’un Salon officiel. Il n’entrera pas en rapport avec le grand public ; il aura peu de chances de placer ses ouvrages. Il devra recourir à des intermédiaires, mais ceux-ci iront-ils à l’artiste méconnu ? Ce n’est guère probable. De là le vœu si souvent et si justement émis de voir établir des expositions largement ouvertes, permettant au plus grand nombre des artistes de montrer leurs œuvres, de s’en faire honneur et d’en tirer profit.

Envisagée de ce point de vue, une exposition serait encore d’une très grande importance. Les productions de l’art français demandent à se répandre davantage. Il y a chaque année, dans les pays voisins, de grandes exhibitions de peinture, sortes de marchés, si l’on veut, où les pourvoyeurs du monde entier viennent faire des acquisitions. Nous n’avons, nous, que le Salon