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petit mendiant une souris blanche. L’animal faisait tourner la roue de sa cage avec une énergie désespérée, mais sans avancer. « Est-ce là, se dit la jeune femme, l’image de toute philosophie, celle du passé comme celle de l’avenir ? »

En attendant que la régénération de la société s’opère par la femme et qu’un nouvel univers se reforme sur les ruines de l’ancien d’une façon que Schopenhauer n’avait pas prévue, Gabrielle Vanthorpe continue à prendre parti pour le faible contre le fort, à défier les convenances mondaines et à commettre une infinité d’imprudences non moins désagréables pour elle-même que dangereuses pour les autres. Elle n’a pas toujours affaire à des êtres aussi désintéressés et aussi chimériques que miss Lemuel. Une belle-sœur lui arrive un matin d’Amérique, réclamant son affection dans un langage plus dramatique que grammatical. Les manières de la nouvelle veuve n’indiquent pas une origine très aristocratique, mais cette parente est malheureuse, elle est veuve : cela suffit à Gabrielle. Épousée jadis pour une beauté qui réclame aujourd’hui des soins minutieux, Pauline Vanthorpe est une aventurière de bas étage. L’argot des tavernes de Londres, où elle a passé sa jeunesse comme servante, se combine dans sa bouche avec l’idiome épicé des bar- rooms de la Nouvelle-Orléans, où Philippe Vanthorpe s’est laissé, pour son malheur, séduire par ses charmes. Maintenant elle vient exiger sa place dans la famille de son mari, bien résolue, si on ne la lui accorde pas de bonne grâce, à faire de l’esclandre. Elle n’a pas de peine à mettre dans ses intérêts son « amour de belle-sœur. » Moins heureuse avec le reste de la famille, elle aura l’effronterie de généraliser sa cause, d’en appeler, dans des meetings, au sentiment de loyauté inhérent à la race anglaise et d’inscrire sur sa bannière la revendication des droite de la femme. Puis, lasse de ce rôle qui ne lui rapporte que des applaudissemens, elle ourdira contre Gabrielle, dont elle est jalouse, une trame odieuse. Elle se fera passer, sans se soucier de l’inconséquence, pour la femme d’un jeune homme qu’elle a connu en Amérique et retrouvé dans le salon de sa belle-sœur. Il ne restait en effet à Gabrielle qu’une imprudence à commettre, et elle l’a commise. Tandis que les uns lui demandaient son temps ou son argent, les autres le sacrifice de ses goûts et de ses croyances, tous son intérêt ou sa pitié, elle a rencontré quelqu’un qui ne lui demandait rien, et elle lui a tout donné.

Clarkson Fielding n’est ni un mécontent ni un déclassé : il a d’autres titres à l’attention de la jeune femme. Fils cadet et d’humeur indépendante, il s’est expatrié de bonne heure pour chercher fortune au loin. Revenu d’Amérique avec plus d’argent qu’il n’en