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moment où l’on pourrait croire qu’ils vont vraiment commencer. Quand l’auteur veut bien les lire à un cercle d’amis, il faut au préalable que les lampes soient allumées ; ses vers réclament un certain cadre et ne sont pas faits pour le jour. Il faut encore que les auditeurs suspendent leur approbation jusqu’à la dernière ligne, vu que l’impression doit résulter de l’ensemble. Enfin le poète demande l’autorisation de se retirer après avoir fini sa lecture sans remplir les formalités ordinaires de la bienséance, sans même prononcer une seule parole. Lorsque ces conditions ont été scrupuleusement observées, les poésies d’Herbert Blanchet ne laissent pas de produire un certain effet sur l’auditoire ahuri par l’étrangeté funèbre de la mise en scène.

M. Mac-Carthy est, on s’en aperçoit, un satirique, mais un satirique sans amertume. Il n’a pas, pour les personnages qu’il a crées ou simplement photographiés, l’aversion de certains auteurs à l’égard de leurs héros. Il ne vous prend pas à part pour vous faire remarquer leur scélératesse ou leur vanité ; ni pour vous faire observer qu’ils sont encore plus laids au fond qu’ils ne le paraissent à la surface. Il se contente de les faire poser devant lui, et, le sourire aux lèvres, il est le premier à s’amuser de leurs faiblesses, de leurs ridicules et de leurs prétentions. Comme il est fort éloigné de penser que tout soit pour le mieux dans la meilleure Angleterre possible, il ne cache pas sa sympathie pour ceux qui s’y trouvent mal, et d’autre part il ne sait pas mauvais gré à ceux qui, grâce à leur fortune ou à leur tempérament, s’y trouvent encore assez bien. Il n’a pas de mépris pour les gens habiles qui, ayant su faire leur chemin, ont pour le succès le culte de la reconnaissance, mais sa commisération se porte plus volontiers sur ceux qui n’ont pas réussi dans ce monde, ou bien encore sur les âmes charitables dont le rêve constant est d’améliorer le sort de leurs semblables. Il ne se dissimule pas que Mrs Seagraves a reçu du ciel une médiocre intelligence et de ses parens une éducation assez incomplète. Pourquoi en voudrait-il à cette aimable personne qui fait tout ce qu’elle peut, sans y parvenir, pour être une femme utile et sérieuse ? Mrs Seagraves a longtemps cherché son rôle dans ce monde. Elle a donné dans tous les goûts capricieux de la mode. Elle a collectionné toutes les curiosités imaginables, depuis les prétendus vieux maîtres jusqu’aux éventails du Japon. Elle a passé de la photographie aux timbres-poste, des gravures aux vélocipèdes, et de la vieille porcelaine au spiritisme, dépensant dans ces diverses poursuites une énergie dont on trouve à chaque pas les monumens dans sa maison transformée en musée universel. Maintenant elle se fait la patronne de toutes les idées