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patronnesse du culte nouveau se garde bien d’inviter à ses soirées le conférencier malheureux, et de tous les griefs de Nathaniel Cramp contre la société, ce n’est pas là le moins cruel.

Herbert Blanchet est aussi un mécontent et d’un genre particulier. On sait qu’une nouvelle école de poésie, de peinture et de critique s’est fondée en Angleterre dans ces dernières années, ayant à sa tête des hommes de talent auxquels on ne saurait guère reprocher que leurs disciples. Pour ceux-ci l’art n’est, suivant l’expression de l’un d’entre eux, qu’une pure « sensualité ; » dès qu’il admet quelque chose de moral ou d’intellectuel, il se dégrade et déchoit. Cette doctrine a produit des chefs-d’œuvre d’incohérence devant lesquels il est bien difficile de garder son sérieux. Un peu de noir ou de bleu jeté au hasard sur une toile et décoré du titre de nocturne s’est appelé l’art de l’avenir ; une phraséologie digne d’un buveur d’opium a pris le nom de haute critique, et le choix harmonieux des périodes, sans aucune considération pour le sens des mots, est devenu l’unique préoccupation du poète. Il paraît qu’avec un peu d’habileté dans ce genre d’exercices il n’est pas impossible de trouver, soit des acheteurs soit des lecteurs enthousiastes ou qui feignent de l’être. C’est à cette école que se rattache le rimeur dont M. Mac Carthy a tracé, dans Miss Misanthrope, l’amusante physionomie.

Herbert Blanchet et la petite église dont il fait partie ont encore raffiné sur les théories mises à la mode par les préraphaélites. Laissant aux arriérés l’amour de la nature avec l’étude des passions humaines, ces nouveaux artistes se concentrent en eux-mêmes : ils regardent dans leurs cœurs, et cela leur suffit. Ils ne se soucient même pas de la réputation. Qu’est-ce que la gloire ? La vulgarité rendue immortelle, rien de plus. Aussi Herbert Blanchet et ses pareils se gardent-ils bien de rien publier. D’abord parce qu’aucun éditeur jouissant de sa raison ne voudrait imprimer leurs ouvrages, ensuite parce que le public ne les comprendrait pas. D’ailleurs le véritable artiste n’a pas de public. Il compose pour sa propre satisfaction et pour celle des trois ou quatre initiés qui peuvent le goûter, ayant mis de côté tous les préjugés sur lesquels a vécu jusqu’à présent une esthétique surannée. Le premier article de la constitution de la secte, c’est de croire profondément au génie de chacun de ses membres, et le second, c’est de mépriser le monde, ses habitudes, ses goûts et ses théories esthétiques. Quant à l’art, la secte n’en reconnaît qu’un, le sien. Herbert Blanchet, par exemple, n’a jamais lu Shakspeare et considère Byron comme au-dessous de toute critiqué. Il a composé un chapelet de petits poèmes, dont la principale particularité est de unir juste au