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acharnement à le poursuivre. Ce sont sentimens qui ont leur noblesse et qui sont d’ailleurs caractéristiques de Musset au premier chef.

Des trois poèmes qui composent le Spectacle dans un fauteuil, le plus goûté fut à l’origine la petite comédie A quoi rêvent les jeunes filles. La préférence était fort partiale, elle était cependant justifiable en un sens, c’est qu’il s’y révélait un Alfred de Musset dont ne donnaient idée ni les Contes d’Espagne, avec leur cassante impertinence, ni les poésies intermédiaires avec leurs hésitations équivoques, ni les deux autres poèmes du Spectacle dans un fauteuil avec leurs révoltes et leurs blasphèmes, l’Alfred de Musset charmant des proverbes et des comédies de fantaisie, d’une Bonne Fortune, de l’Idylle, de la Mi-Carême, des contes de Sylvia et de Simone et de tant d’autres productions lyriques gracieuses. Des divers poètes qui sont en lui, ce n’est pas le plus grand, mais c’est en somme celui qui a prévalu auprès du monde et sous les traits duquel la majorité de ses admirateurs a toujours préféré se le représenter. Un talent tout fraîcheur et tout élégance, avec juste ce qu’il faut de contrastes pour relever cette suavité et l’empêcher de dégénérer jamais en mièvrerie et en fadeur, un mélange d’ingénuité et d’espièglerie libertine dosées en proportions égales, une mélancolie pimpante, une gaîté facilement attendrie semblable au sourire mouillé du bon Homère, une voix d’une sonorité singulière, aux vibrations prolongées et douloureuses comme celles de l’harmonica, la plus sûre d’éveiller dans le cœur de qui l’écoute un écho immédiat qu’il y ait eu peut-être dans notre siècle, voilà ce poète, et il parlait réellement pour la première fois dans la poésie rafraîchissante et capiteuse en même temps de A quoi rêvent les jeunes filles. Quelle peinture délicieuse de l’amour adolescent et candide ! Quel gentil Éden que le jardin enchanté du bon duc Laërte avec les gracieux mystères qui se passent sous les ombres transparentes dont le baignent les claires nuits d’été et les doux murmures d’amour qui traversent son silence ! Depuis ce merveilleux jardin d’Italie où, au cinquième acte du Marchand de Venise, Bassanio et Portia écoutent dans le ciel étoile la musique des sphères, tandis que Lorenzo montre à Jessica, suspendue à son bras, le clair de lune endormi sur le banc de gazon, la poésie n’a pas inventé un théâtre pareil pour la rêverie et le bonheur. Que tout cela est suave de couleur, limpide de lumière, argentin de sonorité ! Cet adorable langage, que Musset inventa pour ses amoureux, il ne l’a jamais parlé peut-être avec autant de perfection que dans cette délicate fantaisie. C’est une de ses inventions les plus originales que ce langage et où se reconnaît le mieux le pouvoir de transformation qui distingue tout vrai poète. La tradition en a charrié jusqu’à lui les