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une même somme est-elle regardée comme considérable lorsqu’elle est comptée en dépense à la consommation et comme insignifiante lorsqu’elle est comptée en perte à la production ?

Lors même qu’on attribuerait à l’agriculture, soit par des droits protecteurs, soit par de larges dégrèvemens, une somme de 400 millions environ, cette somme serait encore loin d’être l’équivalent de ses pertes réelles et de la protection douanière accordée aux industriels.

Jusqu’à quel point un système ou l’autre serait-il efficace ou suffisant ou possible à appliquée ? C’est difficile à dire au pied levé. Nous donnons plus loin quelques renseignemens à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, l’on voudrai bien admettre pour base de la discussion ce chiffre de 400 millions comme indemnité ou compensation due aux agriculteurs.

Il est certain qu’on pourrait arriver par des suppressions d’impôt, à fournir à l’agriculture une indemnité ou compensation équivalente en apparence aux droits de douane élevés. Seulement il faut faire bien attention à ceci, c’est que la protection douanière et le dégrèvement ne reviennent nullement au même ; les effets en sont fort différens. Ainsi 200, 300, ou 400 millions de hausse provoqués par les droits de douane sur le blé et sur le bétail profiteraient directement aux producteurs du blé et du bétail, vendus, tandis qu’un dégrèvement foncier de la même somme se répartirait forcément sur la totalité de la propriété agricole et n’irait pas porter secours au producteur qu’on voudrait spécialement protéger.

Entre les4 deux système on peut choisir. Comme nous le disons ailleurs, la protection, c’est le procédé artificiel du pain cher, tandis que le dégrèvement est le procédé naturel du pain à bon marché. Mais il faut absolument faire quelque chose de notable pour les intérêts agricoles en souffrance, si on ne veut pas qu’ils succombent. En tout cas, il est inadmissible d’avancer que l’agriculture ne souffre pas et que les importations américaines ne sont pas redoutables pour elle.

L’agriculture souffre si bien, que toute une branche du travail national subit une crise non douteuse : voilà les fermiers français, qui composaient toute une classe d’hommes honorables et honorés, laborieux, satisfaits et orgueilleux même de leur situation, dont un bon nombre réussissaient dans leurs entreprises, qui de père en fils se retiraient des affaires avec profit, qui achetaient des tertres, des maisons et des actions ; décourages aujourd’hui, non-seulement ils quittent la culture, mais détournent leurs enfans de suivre cette carrière autrefois lucrative et considérée.

Mais, dit-on, le découragement ne se manifeste que parmi les fermiers, qui abandonnent leurs fermes louées parce que les