Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/583

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’écus et les gros profits ? Du côté des gros portefeuilles et de la grande industrie et non du côté de la charrue et des greniers à blé apparemment.

Qu’une modification plus ou moins prochaine s’opère dans les formes de la richesse, c’est possible, et ce ne sera ni la première ni la dernière fois ; mais il y aura toujours une classe, une couche ou une catégorie sociale fortunée, décorative ou non, qui devra forcément réunir dans ses mains une certaine part de biens et de capitaux. Est-ce un pur paradoxe d’avancer qu’il n’y a ni richesse sans riches ni pauvreté sans pauvres ? Mais la question pendante n’est pas là.


II

Heureusement pour la masse de la population, mais au grand détriment de la culture, l’accroissement des importations américaines a coïncidé avec une série de mauvaises récoltes exceptionnelles en Europe.

La crise est très grave en Angleterre. Les statisticiens du Royaume-Uni évaluent à plus de 16 milliards et demi le capital d’exploitation engagé dans l’agriculture anglaise. En 1878 et en 1879, la perte occasionnée par le déficit de la récolte est estimée à 1 milliard et demi ; en 1880, les pertes ont dû s’élever à peu près au même chiffre. Cela constituerait au moins de 3 à 4 milliards de perte en trois ans.

En France, il y a lieu de penser que les pertes ont été proportionnellement moins énormes, quoique bien cruelles encore. Mais nous ne voulons pas faire de pessimisme ni nous appesantir sur le détail des souffrances endurées chez nous ; il suffira de constater et d’admettre, avec la grande majorité du pays, que l’agriculture française, aussi bien que celle de l’Angleterre, a beaucoup perdu et que la concurrence américaine n’est pas un spectre inoffensif.

Arrivons aux faits pratiques et aux chiffres précis. A quelle somme peut-on raisonnablement estimer l’ensemble des pertes reconnues ou prévues et des réclamations justifiées de l’agriculture, menacée par la concurrence américaine au dehors et durement éprouvée par la concurrence intérieure de la main-d’œuvre industrielle ? Grâce à la surélévation de la main-d’œuvre, qui impose, assure-t-on, un surcroît de dépenses de 120 francs par hectare aux exploitations agricoles, l’agriculture se prétend en perte en vendant son blé 22 francs l’hectolitre. Que sera-ce lorsque ce prix