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Gustave-Adolphe apprit du même coup que Pappenheim, un des lieutenans de Wallenstein, avait quitté l’armée impériale pour se rendre à Halle et que les soldats de Wallenstein campaient sans se garder autour de Lützen : « Je crois vraiment, dit-il, que Dieu m’a livré l’ennemi. » Il se décida dans l’instant à aller chercher la bataille. Nous ne raconterons pas la grande journée. Le roi de Suède passa la nuit qui précéda le combat dans une voiture avec Bernard de Saxe-Weimar et Kniphausen ; il parcourut, le 16 novembre au matin, par un épais brouillard, tous les rangs de son armée. Il n’avait pas voulu mettre de cuirasse, une vieille blessure la lui rendait douloureuse à porter ; il n’avait qu’un pourpoint de cuir et un habit de drap. En passant devant les Suédois, il leur dit de combattre en braves gens, ajoutant que, s’ils se conduisaient bien, il les récompenserait loyalement, mais que, s’ils lâchaient pied, leurs os ne retourneraient pas en Suède. Il n’avait en tout, avec les régimens allemands, que vingt mille hommes ; Wallenstein en avait vingt-cinq mille. On sait comment, pendant la bataille, le roi, vainqueur à l’aile droite, se porta vers le centre avec un régiment de cavalerie suédois. Le brouillard était épais ; le roi, qui montait un cheval très ardent, se trouva entraîné avec quelques personnes de sa suite au milieu d’un gros de cuirassiers impériaux. Son cheval reçut un coup de pistolet, il eut lui-même le bras gauche fracassé d’un coup de pistolet ; puis il reçut une balle dans le dos, tomba de cheval et fut traîné quelque temps. Il n’avait plus avec lui qu’un page de dix-neuf ans : celui-ci vit entourer le roi par les cuirassiers : Gustave-Adolphe se fit connaître ; au même instant, un cuirassier lui brûla la cervelle. On le dépouilla et on le laissa nu, gisant à terre. Le cheval du roi, couvert de sang, arriva seul au galop devant le front des Suédois. Le bruit de la mort du roi se répandit en un instant dans les rangs ; mais ce bruit ne fit qu’enflammer la colère des Suédois : la furie les rendit irrésistibles, et, sans l’arrivée de Pappenheim et ses héroïques efforts, Wallenstein était perdu. Pappenheim mourut, le lendemain de la bataille, des blessures qu’il reçut dans cette terrible journée. Gustave-Adolphe l’admirait plus qu’aucun autre lieutenant de l’empereur et l’appelait simplement « le soldat. » Le cadavre du roi, percé de neuf blessures, piétiné, foulé, fut mis dans un cercueil par un pauvre maître d’école. Vainqueur à Lützen, Gustave-Adolphe, si la mort ne l’avait pas frappé dans sa victoire, eût peut-être été porté jusqu’à Vienne, il eût peut-être mis sur sa tête la couronne impériale. Il n’avait que trente-huit ans ; tout lui était possible et permis, car son temps ne connaissait que la force ; la religion des peuples était la religion des princes, et les princes n’étaient plus retenus,