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projets. Il rencontrait dans le nord de l’Allemagne une maison encore assez obscure, la maison de Brandebourg, dans laquelle il devinait un émule et une rivale ; il y rencontrait aussi le Danemark, l’ennemi héréditaire de la Suède. Il redoutait surtout la Pologne et Sigismond, qui songeait toujours à lui arracher sa couronne.

Comment se laissa-t-il entraîner par degrés à prendre pour objectif non plus le Danemark ou la Pologne, mais l’empire lui-même ? Comment osa-t-il, au lieu de devenir simplement l’allié des princes luthériens, se poser en champion, en chef armé de la foi protestante, et se montrer à l’Europe comme l’arbitre armé de ses destinées ? Comment se risqua-t-il à sortir de ces provinces du Nord, qu’il pouvait revendiquer comme l’héritage légitime de la Scandinavie, et à se mêler aux grandes luttes du continent ? Je pense que l’on ne peut attribuer cette conduite à de profonds calculs. Gustave-Adolphe avait cette sorte d’imagination froide qui fait souvent abandonner la proie pour l’ombre ; il aimait la guerre avec passion, et il lui fallait des adversaires assez grands pour que la défaite lui fût presque aussi glorieuse que la victoire. Il se croyait un instrument de la Providence destiné à rompre l’ancien équilibre européen ; or l’empire était la pierre angulaire de cet édifice, et il ne pouvait pas songer à l’ébranler s’il usait ses forces sur le Danemark, sur la Russie ou même sur la Pologne. Il semble que l’ambition encore un peu vague de Gustave-Adolphe commença à se donner des linéamens plus précis quand l’empire échut à Ferdinand II. C’est en 1617 que Ferdinand avait été couronné roi de Bohême. Élève des jésuites d’Ingolstadt, le jeune archiduc apparut au monde catholique comme un nouveau saint Michel marqué pour étouffer en Europe la rébellion protestante. Le 20 mars 1619, Ferdinand fut élu empereur à Francfort ; il eut les voix non-seulement de la Saxe et des trois électeurs ecclésiastiques, mais encore celles du Brandebourg et de l’électeur palatin. En Angleterre, en Hollande, en France, en Allemagne, les protestans purent se croire perdus. Une grande réaction catholique se préparait partout. Si, en Angleterre et en Hollande, la cause de la réforme paraissait triomphante, en France elle était déjà moralement vaincue, et en Allemagne les forces semblaient à peu près balancées ; mais le poids de l’autorité impériale menaçait de faire pencher la balance en faveur de Rome et de l’Espagne.

La réputation de Gustave-Adolphe commençait pourtant à remplir l’Europe ; les princes luthériens, l’électeur de Brandebourg, dont il avait épousé la fille, la Hollande, la France enfin, semblaient l’inviter à intervenir en Europe, mais il redoutait quelques-uns de ceux qui lui offraient leur alliance, notamment le Danemark, autant