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religieuse ; il n’avait qu’un but, faire de la Suède un vaste camp retranché, y amasser des soldats, des trésors et se préparer à la guerre sans bien savoir encore qui serait son ennemi. Dans un pays de deux millions et demi d’habitans, il réussit à lever jusqu’à quarante mille hommes d’infanterie ; l’impôt de la mouture, l’accise, payèrent les troupes levées à l’étranger. Il vendit des biens de la couronne, répudia toutes les dettes de l’état contractées avant l’avènement de son père. Jamais on n’avait plus audacieusement, plus tranquillement dénoncé à l’Europe l’intention de se préparer à de grandes aventures militaires.

Que voulait Gustave-Adolphe ? Où allait-il porter ses coups ? Il bandait son arc comme un jeune Apollon, et son peuple obéissant était résigné d’avance à tous les sacrifices. Il faut croire que la passion religieuse animait pour des luttes suprêmes tous ces lents esprits du Nord, plus ouverts que les esprits du Midi aux rêves, aux chimères, aux folies ! Gustave-Adolphe était le nouveau David, l’homme du destin ; il le croyait, ses peuples le croyaient comme lui ; ils se laissaient conduire les yeux fermés. La destinée les poussait comme une vague contre la Pologne catholique, contre l’Europe corrompue ; la guerre était pour eux à la fois un roman, un exode, une mission.

On ne comprend pas bien le rôle de Gustave-Adolphe si l’on ne se représente ce qu’était alors la Pologne, quelle place extraordinaire elle tenait dans le Nord entre tant de pays demi-barbares. Elle était pour les Scandinaves et les Slaves une sorte de Rome, de grande prostituée, de Babylone, un point lumineux et chaud autour duquel venaient tourbillonner les lourds insectes sortis du froid et de la nuit. La Pologne était alors la puissance chrétienne du Nord la plus redoutable. Elle leva sous le règne de Sigismond une armée de plus de trois cent mille hommes. Elle pouvait, avec ses cosaques, porter l’effroi jusqu’aux portes de Constantinople. Elle avait.des prétentions sur presque toutes les provinces septentrionales de l’Europe.

Gustave-Adolphe recommença la guerre avec la Pologne en 1620, aussitôt après la rupture de l’armistice de deux ans qu’il avait conclu en 1618. Il alla mettre avec seize mille hommes le siège devant Riga, ville luthérienne, mais qui ne voulait pas se séparer du royaume polonais ; la ville se rendit, et aussitôt après il entra en Courlande et prit Mittau. La guerre continua deux ans, avec des fortunes diverses. Gustave-Adolphe avait un pied en Europe ; les princes luthériens d’Allemagne lui.offraient d’entrer dans leur union. Il convoitait les villes hanséatiques ; son horizon s’agrandissait ; mais il n’avait pas encore donné un corps à ses