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tel ; c’était un homme d’infiniment d’esprit, d’une instruction très étendue, railleur, d’humeur inégale, d’opinions légitimistes exaltées et que les paysans appelaient imperturbablement : M. de Contenchien. Au temps de la révolution française, il s’était jeté en Vendée, où il avait fait lui guerre ; il avait connu Cathelineau, Charette, Stofflet, La Rochejaquelein, et en parlait comme de héros. Il était à la bataille du Mans ; après la défaite de l’armée royaliste, ou plutôt de l’armée royale, comme on disait alors, il s’était enfui dans la forêt de Sillé, dans les bois de Pezé, s’était caché dans une ferme qui appartenait à ma famille et avait continué de faire la chasse aux bleus. Il parlait avec admiration d’un paysan surnommé Bas-Maine, qui servait de guide et de chef à la petite bande dont il faisait partie. Il parait que ce Bas-Maine était un homme extraordinaire, et ses hauts faits, racontés par mon oncle, me sont revenus plus tard à la mémoire lorsque j’ai lu les aventures des batteurs d’estrade de Fenimore Cooper. Tout ce que le romancier américain dit de l’astuce, de la patience, de l’adresse, du soin pour dresser des embuscades, du courage des Peaux-Rouges me rappela les récits de mon oncle.

De sa vie de partisan à travers bois, il avait conservé une habileté sans pareille pour imiter le cri de la chouette, du geai et du corbeau, qui servait de signal aux enfans perdus que les chouans lançaient sur la piste des soldats de la république. Le mot chouanner revenait souvent dans sa conversation, et bien souvent je l’ai entendu s’écrier avec un soupir de regret : « Ah ! comme nous avons chouanné entre Saint-Rémy et Saint-Aubin ! c’était le bon temps ! » Pour lui, la guerre de Vendée avait été une guerre légitime, une guerre sacrée : « Ils ont été forcés de l’avouer eux-mêmes, disait-il parfois avec orgueil : c’était une guerre de géans ! » A entendre mon oncle, les batailles, les victoires de l’empire, tant de capitales conquises, tant de peuples domptés, n’étaient rien en comparaison, des combats dont la Bretagne, la Vendée et l’Anjou avaient été le théâtre. Cela contrariait fort mes idées ; je n’osais rien dire, car j’aimais, je respectais et je craignais un peu M. de Contencin ; mais je regrettais silencieusement qu’Ernest Feydeau ne fût pas là pour « river le clou » à l’ancien compagnon du chouan Bas-Maine. J’étais doutant plus troublé par ces récits que j’avais pour ami intime le garde champêtre de Fresnay-le-Vicomte, qui était un soldat de l’empire resté fidèle au souvenir de ses jeunes années. Quand je lui disais : « Est-ce vrai que les chouans étaient tous de grands généraux ? Il me répondait : « Autant dire que votre bourriquet a le nez crochu ; c’étaient de méchans gars qui se « fouissaient » derrière les ajoncs pour tirer sur de pauvres soldats portant le fusil