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politique, accoutumées à des désordres invétérés, promptes à céder aux ambitions de race et aux passions religieuses. les élections parlementaires ont été ce qu’elles pouvaient être dans une situation où l’influence et aux agitateurs. Au lieu de s’occuper de l’administration intérieure, de tout ce qui pouvait consolider l’état nouveau, la majorité panbulgare envoyée à l’assemblée n’a eu d’autre souci que de nouer des intrigués contre ses voisins, d’entretenir des propagandes dans la Roumélie orientale, de rêver des aventures nouvelles et au besoin de créer des embarras au jeune prince ainsi élevé au pouvoir dans des conditions si difficiles. Le prince Alexandre, de son côté, a fait tout ce qu’il a pu pour retenir ces emportemens, obéissant autant que possible aux règles constitutionnelles dans la formation de son Cabinet et ne se réservant pour lui-même que le choix du ministre de la guerre. Il s’est trouvé impuissant devant l’anarchie qui est dans les pouvoirs, qui n’a pas tardé à paralyser tout gouvernement, en mettant le pays lui-même en péril.

Voilà où l’on est arrivé en Bulgarie après deux années de vie indépendante. Ce n’est là sans doute qu’une crise inhérente aux passions et à l’inexpérience d’un pays encore novice dans la carrière publique. La crise est cependant assez grave pour que le prince Alexandre, à bout de patience et d’efforts, refusant de s’engager dans des aventures où il ne serait plus soutenu par la Russie, ait cru de voir recourir à un remède assez héroïque. Il n’a pas fait un coup d’état, du moins il le dît ; il s’est borné à charger le ministre de la guerre, le général Erenroth, de composer un cabinet « provisoire jusqu’à la décision de la grande assemblée nationale » qui va être convoquée, et cet acte décisif, il l’accompagne d’une proclamation où il ne déguise ni ses déceptions ni ses résolutions. « Aujourd’hui, dit-il, notre patrie, discréditée à l’extérieur, se trouve désorganisée à l’intérieur. » Son intention est de demander à la « grande assemblée nationale » qui va se réunir « les conditions indispensables au gouvernement. » S’il obtient ces conditions, il gardera la couronne qu’il a reçue il y a deux ans des mains de l’assemblée ; s’il n’obtient pas ce qu’il demandé, il est résolu à « quitter le trône princier, » déclarant d’avance que « l’état actuel des choses lui rend impossible l’exécution de sa mission. « La question en est là : que va-t-il maintenant arriver ? Il est vraisemblable que cet acte viril qui signale sans réticence une situation devenue dangereuse, qui fait appel au pays, frappera l’imagination publique. Déjà des manifestations populaires se sont produites pour détourner le jeune prince d’une abdication dont les conséquences ne laisseraient pas en effet d’être graves, et l’assemblée qui va se réunir pourrait bien se trouver sous la pression d’une nécessité qu’elle ne pourra éluder. Il resté à savoir si cette mission dont parle le prince Alexandre dans sa proclamation deviendra beaucoup plus facile à remplir avec les pouvoirs qu’il réclame ; c’est une expérience de plus qui