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et ce firman de 1871, que la France n’a d’ailleurs jamais reconnu, est toujours resté inexécuté. Que prétend aujourd’hui le sultan avec ces réminiscences surannées de domination, avec ces appels à une médiation européenne qui n’a pas été demandée, que les cabinets ne songent sûrement pas à imposer ? La Porte ferait beaucoup mieux de s’occuper à régler ses affaires intérieures, à retenir les provinces qui lui échappent, à payer ses créanciers et à réaliser les réformes que l’Europe lui demande depuis longtemps. Ce qu’il y aurait de plus extraordinaire encore que les protestations turques, ce serait que l’Angleterre elle-même se laissât aller à une certaine mauvaise humeur. Les Anglais, il faut l’avouer, ont de singuliers titres pour parler de l’intégrité de l’empire ottoman et de la loi des nations. Ils ont probablement acquis ce droit le jour où ils ont pris Chypre en pleine paix, sans façon, sans aucun prétexte, sans consulter l’Europe ! Ce ne sont là, après tout, que des mouvemens de mauvaise humeur qui ne peuvent devenir une sérieuse affaire diplomatique. En définitive, la France a dans la régence de Tunis des intérêts particuliers de sécurité que personne ne peut contester, et elle a sûrement le droit de sauvegarder ces intérêts, de maintenir son influence, sans qu’on puisse l’accuser de menacer l’influence légitime des autres nations.

La politique du monde est un écheveau singulièrement embrouillé ; même quand la paix n’est pas sérieusement menacée, quand il ne s’agit que de conflits limités et d’incidens, les difficultés ne manquent jamais. A peine est-on délivré d’un côté, les complications reparaissent sur un autre point ; c’est un enchevêtrement continu d’affaires qui s’enchaînent, se succèdent, ou se déplacent. Voilà sans doute pour cette fois un nuage dissipé en Orient, une des promesses du congrès de Berlin à peu près réalisée. La diplomatie européenne a réussi, non sans effort, non sans avoir épuisé toutes les formes de négociation, à trouver une solution de cette question des frontières turco-helléniques qui semblait un moment être devenue insoluble. Les cabinets ne se sont laissé décourager ni par les impatiences belliqueuses des Grecs, ni par l’inerte résistance des Turcs, ni par une série de tentatives infructueuses. Ils se sont remis patiemment à l’œuvre ; ils ont commencé par s’accorder entre eux sur une rectification nécessaire du projet de délimitation préparé par la conférence de Berlin, et le nouveau tracé une fois fixé dans un esprit de transaction, ils se sont immédiatement occupés de le faire adopter, à Athènes comme à Constantinople. Les Grecs ont été peut-être un peu déçus, ils n’ont pas tout ce que leur ambition rêvait, tout ce qu’on leur avait imprudemment promis ; ils ont néanmoins la chance d’obtenir sans combat d’assez vastes territoires en Thessalie, et ils n’ont pas eu probablement un grand effort à faire pour se résigner à accepter ce que la fortune leur offre. La Porte